Visite ou Mémoires et confessions
par Guillaume Lafleur
Dans le cadre du cycle 20X5, un film inédit de Manoel de Oliveira sera présenté en première montréalaise ce vendredi 4 août, à 21 h.
Le vénérable cinéaste portugais Manoel de Oliveira réalise en 1982 Visite ou Mémoires et confessions (Visita ou Memorias e Confissoes), un film qu’il se décide à tourner au moment où il va vendre sa propriété de Porto, dessinée dans les années 1940 par un ami architecte. Le cinéaste a alors 73 ans, il se sait vieillissant, avec peut-être plus que quelques films devant lui. Dans ce film, il mentionne le projet de Non ou la vaine gloire de commander, qu’il réalisera finalement en 1990, mais il ne présume évidemment pas d’un fait extraordinaire, à savoir qu’il deviendra le plus vieux cinéaste en activité.
Il décède en 2015, réalisant son dernier film avec Michael Lonsdale (Gebo et l’ombre), deux ans auparavant. Il fera encore quelques courts métrages malgré sa mémoire défaillante, avant de s’éteindre. Il y a donc 25 films et 30 ans qui séparent l’œuvre posthume de son dernier film véritable. Visite ou Mémoires et confessions est inédit puisque de Oliveira voulait qu’il ne soit montré qu’après sa mort. Il a donc été conservé à la Cinémathèque de Lisbonne tout ce temps et c’est grâce à sa précieuse collaboration ainsi qu’au Consulat du Portugal à Montréal que nous pouvons le présenter.
Le film relève à la fois de l’autobiographie et du film-essai. Son début s’inscrit dans une veine stylistique qui n’est pas sans rappeler le cinéma profondément marqué par l’écriture littéraire (voir Jean-Daniel Pollet ou même Duras). Il met à profit les talents d’écriture de la romancière Agustina Bessa Luis, qui a participé à la rédaction du scénario comme à plusieurs autres films du cinéaste, dont l’emblématique Val Abraham. C’est ainsi que deux voix (un homme et une femme) installent un dialogue en off, cependant que nous traversons peu à peu les jardins et les diverses pièces qui composent la maison du réalisateur, au cachet unique et légèrement baroque. Ces deux voix ne décrivent pas véritablement les lieux montrés ni ne les commentent mais proposent plutôt un contrepoint aux lieux traversés, en des plans anguleux très maitrisés.
S’il s’agit de contrepoint, c’est que ce dialogue est à plusieurs fois arrêté au cours du film par des interventions du cinéaste lui-même à l’image. Il raconte alors l’histoire de cette maison qui s’entremêle à celle de sa vie, de ses amis proches et de l’histoire du cinéma portugais, principalement sous Salazar. C’est le film le plus intime de Manoel de Oliveira, même s’il a à quelques reprises tenu son propre rôle dans quelques films, notamment dans Christophe Colomb, l’énigme.
Mais c’est ici que nous découvrons la complexité d’une vie où il a pu aussi bien connaitre un emprisonnement politique sous la dictature de Salazar que la nationalisation de son usine familiale après la Révolution des œillets. C’est un film qui déplie avec beaucoup de finesse la fabrique intime du cinéaste sans jamais délaisser le travail de la forme. Son amplitude de ton mêle avec brio petite et grande histoire. Enfin, cette conscience de la mort imminente présente de bout en bout – et constamment reportée par les films encore à faire – achève de rendre ce film bouleversant.
2 août 2017