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Cinémathèque Québécoise

Voir Anastasie oh ma chérie de Paule Baillargeon

par Marcel Jean

C’est le temps de découvrir Anastasie oh ma chérie de Paule Baillargeon, un jalon du cinéma féministe au Québec qui annonce La cuisine rouge.

Numérisé et restauré par la Cinémathèque québécoise en partenariat avec l’Office national du film du Canada dans le cadre du Plan culturel numérique du gouvernement du Québec, Anastasie oh ma chérie est le premier film réalisé par Paule Baillargeon. Tourné dans des conditions artisanales, terminé en 1977, ce moyen métrage (le film dure 34 minutes) raconte l’histoire d’une jeune artiste qui s’aménage un espace de liberté dans l’appartement où elle vit seule, refusant les rôles d’épouse et de mère. Son comportement désespère son mari, qui alerte les autorités. C’est alors que les différentes sphères du pouvoir s’activent pour ramener Anastasie dans le « droit chemin »…

Fable naïve, selon les mots mêmes de la réalisatrice, Anastasie oh ma chérie a été réalisé en prenant en compte les méthodes et principes d’improvisation chers au Grand cirque ordinaire, le collectif théâtral dont elle faisait partie. Celle-ci aborde sur le ton de l’humour noir la difficile quête de liberté d’une femme moderne, l’oppression dont elle est victime de la part des institutions masculines et la fuite dans l’imaginaire par laquelle elle parvient à s’échapper. La séquence pendant laquelle les policiers habillent Anastasie pour ramener celle-ci dans le giron d’une féminité de convention domine le film : il s’agit en effet d’une étrange mascarade qui a toutes les caractéristiques d’un viol, le consentement d’Anastasie n’étant jamais sollicité alors qu’elle se voit privée de tout contrôle sur son corps. Maîtrisant déjà l’art du découpage, Paule Baillargeon livre ici un véritable tour de force : lorsqu’Anastasie (remarquable Han Masson), telle une poupée désarticulée, est habillée et grimée par les policiers (Gilles Renaud et Gilbert Sicotte, suaves), la réalisatrice parvient à transcender l’horreur de la scène par un humour distancié ravageur, cela sans jamais sacrifier la charge politique. Cette séquence est suivie par celle du cabinet du médecin, sorte d’apothéose burlesque où l’impassibilité de la patiente devient le révélateur de la folie du psychiatre (Claude Laroche, désopilant).

Véritable jalon du cinéma féministe québécois, Anastasie oh ma chérie annonce La cuisine rouge et contribue à faire naître une esthétique singulière, nourrie de l’expérience théâtrale, mais absolument cinématographique dans son écriture autant que dans sa construction. Avec ce court film, Paule Baillargeon laisse voir l’immense étendue et la singularité de son talent.


La Cinémathèque québécoise remercie la réalisatrice d’avoir libéré les droits pour cette diffusion exceptionnelle. Anastasie oh ma chérie peut être vu ici.

 


24 mars 2020