Voir Le grand remue-ménage de Francine Allaire et Sylvie Groulx
par Marcel Jean
Réalisé par deux jeunes réalisatrices impliquées dans la création du distributeur Cinéma Libre, Le grand remue-ménage est exemplaire du film d’intervention sociale destiné à susciter les débats. Véritable classique du cinéma féministe indépendant québécois, le film fait partie des œuvres numérisées et restaurées par la Cinémathèque québécoise en partenariat avec l’Office national du film du Canada dans le cadre du Plan culturel numérique du gouvernement du Québec.
Quelques mots sur l’époque : Le grand remue-ménage date de 1978 et on se souviendra que l’Organisation des Nations unies avait désigné 1975 « Année internationale de la femme ». Nous sommes alors au cœur de ce qu’on appelle la deuxième vague féministe et c’est le début des études féministes dans les universités. En parallèle, la décennie 1970 est celle de l’animation sociale : quantité de films sont produits à des fins de distribution communautaire pour susciter la discussion au sein de groupes sociaux, d’organisations ou de personnes ciblées. C’est d’ailleurs à cette époque que l’ONF a pour projet phare « Société Nouvelle/Challenge for Change », qui considère le film comme étant un outil de discussion et qui va même jusqu’à placer le citoyen au cœur du processus de création. C’est donc dans ce ferment social que Le grand remue-ménage est conçu.
Lorsqu’elles commencent à travailler à leur film, Francine Allaire et Sylvie Groulx ont la petite vingtaine et sortent de l’Université Concordia. Leur projet consiste à observer l’impact des conditionnements sociaux sur les stéréotypes sexuels : comment l’éducation et la société déterminent les rapports entre les hommes et les femmes ? Le point de vue est résolument féministe, tandis que le ton est narquois, ce qui tend à singulariser l’œuvre car on n’a pas trop l’habitude de badiner avec de tels sujets. Il faut dire que les réalisatrices tournent leur caméra vers deux modèles dont les comportements ne peuvent laisser indifférents. Il y a d’abord Champ, archétype du macho italien, qui possède un café, collectionne les conquêtes et habite chez sa sœur. Il y a ensuite Gogui, un garçon de dix ans au comportement de surmâle caricatural. Ces deux personnages sont au cœur d’un dispositif mâtiné de segments théâtraux provenant d’une création collective et de diverses autres séquences.
Au montage du film on trouve le cinéaste Jean Gagné tandis que le groupe Conventum (que Gagné a contribué à fonder avec André Duchesne, Jean-Pierre Bouchard et quelques autres) est à la musique. Une filière saguenéenne qui place le film dans la dynamique contre-culturelle et avant-gardiste de l’époque. Bref, un film pour sentir et comprendre la décennie 1970 au Québec, un film pour parler du nécessaire combat pour les droits des femmes, mais aussi un film qui conserve toute sa pertinence plus de 40 ans après sa sortie.
La Cinémathèque québécoise remercie les réalisatrices d’avoir libéré les droits pour cette diffusion exceptionnelle. La restauration du Grand remue-ménage peut être vue ici.
27 mars 2020