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Éditos

À contre-courant

par Helen Faradji

Crise, moral en berne, manque d’éclat, salaires trop élevés… Les mots que l’on a pu lire à la pelle en 2012 n’avaient pas de quoi remonter le moral. Comme si les journalistes cinéma du monde entier s’étaient donné le mot pour empêcher le soleil de briller. Pourtant, en cette encore neuve année 2013, l’optimisme semble reprendre ses droits. En tout cas sous la plume de l’incomparable Richard Brody, blogueur et critique pour le New Yorker, au style aussi vif que les idées.

Dans un billet paru le 17 janvier dernier et intitulé « The State of the ‘Art Film’ », l’auteur nous fait en effet, pour une première fois depuis de longs et pénibles mois, porter des lunettes roses en nous rappelant une sympathique donnée : nous, spectateurs et amateurs de films moins décérébrés que la moyenne, sommes tout de même bien moins à plaindre que nos prédécesseurs.

Dès le premier paragraphe, annonçant la sortie prochaine en territoire nord-américain de quelques pépites anticipées, telles The Bling Ring de Sofia Coppola, acquis par la nouvelle compagnie de distribution A24, Sun Don’t Shine d’Amy Seimetz qui sortira en salles et en VOD en même temps (à mettre sur notre radar, à en croire les éloges de Brody), César doit mourir des frères Taviani, Like Someone in Love de Kiarostami ou La nuit d’en face de Raoul Ruiz, Brody donne le ton. « En bref, 2013 est déjà une très bonne année – nous vivons un âge d’or cinématographique en termes de qualité et de quantité » écrit-il.

Or, rappelle Brody, il fait bon se souvenir que cet accès à profusion à des œuvres de cinéma (dans le meilleur sens du terme) n’a pas toujours été si ouvert. Évoquant la situation des années 80 et 90, et citant abondamment un article écrit en 1992 sur l’état du marché de distribution des « films artistiques » par Steven Gaydos, il explique aussi clairement que simplement comment se rappeler d’hier peut aider à apprécier aujourd’hui.

Car, si les films dits artistiques n’ont pas cessé d’être réalisés dans les années 80-90, venant même au contraire des quatre coins de la planète plutôt que de la seule Europe, le coût de leur distribution, lui, n’a cessé d’augmenter, par le truchement d’agents de vente et de producteurs aux demandes mirobolantes. Ceci, avance notamment Brody, explique par exemple pourquoi le cinéma d’Abbas Kiarostami n’a pu, durant ces années, trouver la reconnaissance qu’il méritait sur le territoire nord-américain, les spectateurs n’y ayant pas eu accès après que les distributeurs américains en aient eu abandonné l’exploitation, suite aux sommes folles demandées par les agents le représentant. Une situation bien embêtante pour les spectateurs de ces décennies, mais qui aujourd’hui peut-être bien vite contournée par les merveilleuses avancées technologiques de nos chers internets. Streaming, VOD et autres moyens détournés font exister les œuvres en les rendant accessibles à tous (sauf dans les pays pratiquant le délicat art de la censure, mais c’est là un autre débat).

Mais mieux que ça, c’est encore par le net, selon Brody, que se crée aujourd’hui le bouche-à-oreille. Un film aux ambitions artistiques marquées n’ayant pas de distributeur peut tout à fait trouver sur la toile de quoi faire résonner son appel, enclenchant dès lors un processus de reconnaissance qui pourrait très bien le mener jusqu’aux salles, à la demande directe des spectateurs, par ailleurs de plus en plus (et parfois même de mieux en mieux) informé sur ces films mais également sur leurs conditions de production. Une situation bien réelle et dont les conséquences – soit l’augmentation du nombre de salles dédiées au cinéma de répertoire à New York (maudits chanceux) – sont déjà bien tangibles.

Mieux encore, et en citant Brody dans le texte, « If the so-called art cinema has become increasingly important (and if Hollywood itself has expanded, radically, its aesthetic range—and it has), it is, in part, because the range of subjects at hand has expanded to include the very conditions of image-making, of movie production, of the new and prismatic media-mediated experience of modernity ».

Plus de sujets, plus de films, plus d’argent, plus de producteurs prêts à soutenir les visions d’auteur (ce qui expliquerait par exemple le rythme accéléré de tournage d’un Terrence Malick) et plus de public tout prêt à mondialement défendre ces films ? Le cinéma d’auteur est mort, vive le cinéma d’auteur ? Comme le note Brody, les conditions d’une renaissance sont en tout cas réunies. Et s’il semble un des rares auteurs à défendre avec enthousiasme cette vue de l’esprit à contre-courant, nous ne demandons qu’à le croire. Un peu d’optimisme n’a de fait jamais fait de mal à personne.

Bon cinéma

Helen Faradji


24 janvier 2013