Abbas Kiarostami (1940-2016)
par Robert Daudelin
Pendant un long moment – une dizaine d’années – la modernité, célébrée, comme décriée, c’était lui, l’Iranien, Abbas Kiarostami, qui vient de mourir à Paris, le 4 juillet.
Quiconque a découvert Où est la maison de mon ami? à la fin des années 1980 en garde encore un souvenir ému. Que cachait donc ce petit film dit « pour enfants »? Que recelait cette fausse simplicité? La réponse viendra en 1990 avec Close Up et davantage encore avec Au travers des oliviers (1994). Mine de rien, Kiarostami réinventait le cinéma : chaque plan, chaque mouvement d’appareil, aussi discret fut-il, retrouvait sa force originelle. Et si le doute subsistait, on pourrait bientôt lire les essais du cinéaste qui commençaient à paraître en traduction française.
Mais quand nous découvrons Kiarostami, en 1989 ou 1990, il n’est pas vraiment un débutant : cinéaste depuis 1970, il a déjà réalisé (et scénarisé la plupart du temps) 14 courts métrages et 3 longs métrages. La particularité de cette production, c’est qu’elle se développe à l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes de Téhéran (le Kanoun) qui, au lendemain de la révolution iranienne, va devenir l’une des plus importantes structures de production du pays, l’une des plus novatrices aussi – Kiarostami pouvait même affirmer que « la principale rupture dans le cinéma iranien a eu lieu avec les premières recherches cinématographiques effectuées à l’Institut ».
Rien n’allait plus arrêter le cinéaste : une dizaine de longs métrages suivront Où est la maison de mon ami?, films de plus en plus expérimentaux – 10, en 2002, en constituant le point limite – jusqu’au bouleversant Like Someone in Love de 2012, ultime opus, tourné au Japon avec des acteurs japonais. En 2010, lui à qui on reprochait son hermétisme et son écriture indéchiffrable, avait signé Copie conforme, un film que plusieurs boudèrent, sans doute parce qu’il y faisait la preuve qu’il pouvait lui aussi faire un film « mainstream », même mieux que la plupart des cinéastes à la mode.
Curieux de tout, Kiarostami expérimentera la petite caméra numérique dans un essai documentaire (ABC Africa / 2001), pratiquera abondamment la photographie (les résultats feront l’objet d’un court métrage magnifique, Les routes de Kiarostami / 2006) et partagera une installation avec son ami Victor Erice au Centre Pompidou de Paris, en 2005.
Personne avant Kiarostami ne nous avait parlé de l’Iran avec une telle force : Shirin (2008), son hommage à la femme iranienne, est un chef-d’œuvre de bricolage (le film fut tourné dans la salle de séjour de sa maison de Téhéran avec un système d’éclairage inventé par son directeur photo) qui débouche sur l’émotion pure. Mais tout serait à citer, en commençant par Le goût de la cerise (1997), cette jonglerie philosophique sur la mort, tellement est riche cet œuvre à nulle autre pareille.
P.S. J’ai eu le bonheur de servir dans un jury de films d’écoles de cinéma que présidait Abbas Kiarostami : je n’oublierai jamais son enthousiasme devant les rares audaces que nous découvrions ensemble, son ironie douce et sa grande humanité.
8 juillet 2016