Au Sud… le documentaire se porte bien!
par Robert Daudelin
Le Festival internacional de Cine en Guadalajara (Mexique), qui mettait fin à sa 32ième édition le 17 mars, proposait à son nombreux public dix-huit longs métrages documentaires soumis à un jury international. Huit pays étaient représentés dans une sélection aussi riche que diversifiée. Le documentaire est bien vivant, provocateur et essentiel, au sud du continent.
Jamais l’appellation « cinéma du réel » aura-t-elle été aussi appropriée, la majorité des cinéastes représentés dans la compétition ayant à cœur de témoigner, de mesurer, de s’engager. Pour plusieurs, notamment les chiliens Lissette Orozco (El Pacto de Adriana) et Andres Lubbert (El color del camaleon), leurs films troublants appartiennent à ce que Charlotte Selb nomme si justement « l’ère de la post vérité » dans son éditorial du 7 février dernier. Pour ces jeunes cinéastes, nés sous l’infâme régime de Pinochet, l’heure est au questionnement. Pour l’un et l’autre, cet exercice douloureux n’est pas abstrait : il se passe dans leur propre famille. Adriana, la tante adorée, a-t-elle vraiment travaillé pour la sinistre DINA? Et le père d’Andres Lubbert cache-t-il un passé trop lourd derrière le silence que son fils essaie de fissurer? Posées à la première personne, les questions soulevées par ces films écorchés proposent une lecture nouvelle des années de la dictature : le déni, le mensonge et le mutisme y sont brusquement mis en cause, une autre façon de refaire l’histoire officielle.
Les cinéastes mexicains présents dans la sélection n’étaient pas non plus en reste, même que La libertad del Diablo de Everardo Gonzalez (sacré Meilleur documentaire) et Los ojos del mar de José Alvarez, deux grandes œuvres, en tous points exceptionnels, se présentent comme des exemples remarquables de ce que peut être le documentaire actuel. Ne craignant pas la mise en scène, voire un certain recours à la fiction, ces deux films immenses nous parlent du Mexique, de sa culture de la violence et de sa culture tout court avec une force bouleversante. Comment en effet aborder la question brûlante de la violence quotidienne qui habite le pays? Gonzalez y arrive en adoptant une approche hautement stylisée, dans la qualité plastique du filmage (en tableaux savamment éclairés) et l’enregistrement de témoignages de victimes, comme d’agresseurs, en autant de faces à faces avec sa caméra : le résultat est un choc viscéral et le film, le geste d’un grand cinéaste. José Alvarez pratique un cinéma bien différent, mais non moins essentiel. Pour célébrer le deuil de l’équipage d’un petit chalutier perdu en mer, il fait appel à Hortensia, une quinquagénaire au lourd passé, qui visite les familles endeuillées dans le but de constituer un coffre de souvenirs qu’elle ira jeter à la mer, au lieu même de la disparition des six membres d’équipage. Film sur le travail des pêcheurs – nous sommes souvent avec eux, sur leur chalutier – Los ojos del mar est aussi un document de première main sur une culture populaire et ses rituels; enfin, c’est un film d’une grande beauté plastique dans lequel la mer, sa grandeur et ses mystères, sont magistralement célébrés.
Bien sûr, ici comme ailleurs, le « formatage » télé fait des ravages, que ce soit pour parler de Podemos et de son ascension en Espagne ou pour célébrer les tubes du chanteur de flamenco Enrique Morente. Et ici aussi la tentation de la fiction est forte, au point de trahir le réel qu’on veut pourtant servir. Mais ces contradictions mêmes font partie de la richesse du cinéma documentaire actuel qui n’a pas fini de nous étonner.
Films de montage, cinéma direct, témoignages à la première personne, films ethnographiques, le documentaire est bien vivant en Amérique latine.
23 mars 2017