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Éditos

Aux Tweets, etc…

par Helen Faradji

Tout commence par une série de gazouillis apparemment sans conséquence, apparue les 25 et 26 janvier derniers. Une poignée de tweets banals comme le réseau social en compte quelques milliers par jour. « Movie 43 is going to get about an 8 on Rotten Tomatoes’ meter. The critics are gonna freak out at this thing, but the college kids, high school kids, 20-somethings, and anybody who smokes weed is gonna flip out. » Puis « To the critics: Movie 43 is not the end of the world. It’s just a $6-million movie where we tried to do something different. Now back off. To the critics: You always complain that Hollywood never gives you new stuff, and then when you get it, you flip out. Lighten up ». Des messages aux critiques qui seraient probablement passés dans le beurre s’ils n’avaient été directement adressés par Peter Farrelly lui-même, co-réalisateur et producteur de ce film à sketchs descendu en flammes par lesdits critiques à qui, il est bon de le rappeler, le film n’avait d’ailleurs pas été montré en avance, comme il est de coutume.

Mais des messages qui ont aussi enflammé le web, notamment sous la plume d’Andrew Parker, critique de son état, oeuvrant dans différentes publications à Toronto, dont son blogue personnel où est publié cette diatribe contre la moitié dumb ou dumber, cela reste à déterminer, du duo comique.

Pour Parker, lesdits tweets ne font qu’ajouter l’insulte à l’injure. Lui rappelant vertement que son Movie 43 n’a rien de particulièrement nouveau, ni de différent (les films à sketchs comiques ne sont en effet pas nés de la dernière pluie), le critique s’emporte tout particulièrement sur deux points. D’abord, que son populisme a quelque chose d’abject et de profondément imbécile (oui, Parker n’y va pas avec le dos de la cuillère). Mais surtout que ces tweets démontrent une personnalisation du débat critique qui n’a absolument pas lieu d’être.

En réagissant avec son ego, en s’adressant aux critiques comme à un troupeau malfaisant, Farrelly a réagi, toujours selon Parker, comme un lâche «because you can’t take the heat and you should get out of the kitchen ».

Or, ce qui frappe également dans cette longue lettre ouverte, elle aussi bien de son temps, c’est également sa capacité à dériver d’un point de vue critique à une opinion tranchée, certes, mais éminemment personnelle, où se confondent progressivement les rôles de critique (que Parker endosse dans ses premiers paragraphes), de spectateur, de chroniqueur, de tribun, d’ami déçu. Un texte personnel où l’on ne cherche plus à instaurer un dialogue avec une œuvre d’art mais où l’on s’adresse violemment à une personne qui s’avère avoir fait un film. La faute à Twitter ? Non, évidemment. Mais force est de constater que la proximité (ou l’apparence de proximité) permise par le réseau social géant encourage la confusion.

Et c’est là que le toujours brillant Jonathan Rosenbaum entre en scène. L’éminent critique publiait en effet cette semaine sur son site l’extrait d’une entrevue qu’il donnait à un quotidien brésilien au sujet de la critique et qu’il conviendrait de rappeler désormais régulièrement. Établissant d’abord la différence qu’il entrevoit entre textes critiques et critique de film (« Reviews are evaluations of individual films; criticism considers film in general and therefore deals with many films. Reviews are usually aimed at the present, the contemporary marketplace, and are therefore often meant to be forgotten soon after they’re read; criticism should been meaningful for much longer, quite apart from what’s currently playing at cinemas, and therefore is likelier to be used and remembered for a much longer period of time« ), l’auteur évoque les différents bienfaits qu’a pu apporter le net à la critique (l’interactivité, l’hypertextualité, l’aspect multimédia) avant de rappeler cette évidence: « More choices in terms of both viewing and reading, at least if you wish to be aware of those choices ». On se permettra de penser que l’un de ces choix offerts par le net est de garder le débat autour du cinéma au-dessus du plancher des vaches. Là où l’on ne s’adresse pas à un cinéaste comme si on avait gardé les vaches ensemble. Là où la communication, toute virtuelle qu’elle est, ne doit pas devenir une conversation de piliers de bar. Là où l’on parle de cinéma avant de parler d’homme à homme.

Bon cinéma, sur le net ou non

Helen Faradji


31 janvier 2013