Bord cadre
par Helen Faradji
Il suffit d’ouvrir les yeux. Les filles – et principalement les filles – nous ont fait honneur du côté de Rio. Plus proche de nous, et si les Dieux sont cléments, ce dont on est en droit de douter ces temps-ci, une femme fera peut-être l’histoire en novembre prochain aux États-Unis. Et du côté du cinéma, même si beaucoup de chemin reste à parcourir, ce sont des femmes qui ont émergé des deux derniers festivals majeurs : l’allemande Maren Ade avec son intriguant Toni Erdmann ainsi qu’Houda Benyamina avec son Divines camérasiré d’or à Cannes ainsi que la bulgare Ralitza Petrova avec Godless, son premier long, à Locarno, qui lui a permis de décrocher le Léopard d’or.
On pourrait même continuer longtemps avec ces exemples de femmes qui se démarquent, qui ne demandent rien à personne, qui s’imposent non pas parce qu’elles portent des robes, mais par ce qu’elles ont à dire, à faire, à montrer (Elizabeth Banks qui prend les rênes de whohaha.com où elle promeut l’humour féminin, les films de super héros qui se mettront l’an prochain à l’heure de Wonder Woman…).
Bien sûr, ces arbres ne cachent absolument pas la forêt. Les contre-exemples sont nombreux, trop nombreux et les attaques sexistes peu ragoûtantes autant que les inégalités choquantes ne sont en rien oubliés parce que ces succès existent. Ce serait presque même le contraire d’ailleurs : car nos médias semblent bien plus enclins à se repaître d’une énième étude affirmant qu’il n’y a pas assez de femmes réalisatrices, plutôt qu’à souligner ce qui va bien, ce qui est encourageant. Ou quand on le fait, c’est peut-être sans se poser tout à fait les bonnes questions. Sans ouvrir la porte à un débat qui mérite néanmoins d’être ouvert.
Un exemple. La mode à Hollywood, malgré l’impressionnant backlash contre Ghostbusters, semble bel et bien aux inversion de genre dans les franchises ou remakes. Ainsi, le prochain Ocean’s 11 sera tout féminin (et avec une distribution all star qui n’a rien à envier à celle de son pendant masculin – Sandra Bullock, Cate Blanchett, Anne Hathaway, Rihanna, Helena Bonham-Carter et Mindy Kaling – qui évidemment a déjà eu droit à son hashtag méprisant). Et les listes pullulent sur le net de ces films qui mériteraient d’être refaits « au féminin ». Plus surprenant, on apprenait aussi ces dernières semaines que Splash, nanar érotico-comique réalisé par Ron Howard en 1984, allait lui aussi se voir revampé avec… Channing Tatum dans le rôle de la sirène.
Montrer qu’un homme peut jouer un « rôle de femme » et vice-versa est certes un premier pas vers une représentation plus juste et équitable des choses. Pourtant, comment ne pas garder ce sentiment que dans le transfert, quelque chose continue à laisser un drôle de goût. En effet, dans la grande tradition des Some Like it Hot, Tootsie ou Mrs Doubtfire, lorsqu’un acteur prend la place d’une femme (qu’il se travestisse ou non, comme lorsque Chris Hemsworth a hérité du rôle de secrétaire de ces dames chasseuses de fantômes), il hérite en général du même geste d’un rôle comique. Le genre de rôle payant, amusant, léger qui ne « dévalue » pas la masculinité de ces messieurs et surtout qui ne les cantonne pas à ce rôle – tenu par les femmes – de bel objet de fantasme. Splash, même s’il n’existe pas encore, est à ce titre un futur objet d’études passionnant. Car si, dans la version de 1984, Daryl Hannah était bel et bien présente, c’était surtout, pour ne pas dire seulement, dans le rôle de la sirène aguichante, un rien bécasse, à laquelle le scénario ne réservait qu’un rôle : celui de libérer le personnage de Tom Hanks de sa vie plate et urbaine en lui offrant le rêve de vivre aux côtés d’une sublime blonde qui ne servait donc à rien d’autre qu’à assouvir le fantasme masculin.
Si l’on ne sait pas de quoi demain sera fait, on peut déjà être certain par contre que l’inversion des rôles dans Splash n’ira pas jusque là. Oui, Tatum sera peut-être sirène, mais gageons sans risque qu’il ne sera pas objectifié au point où une femme peut l’être dans le même rôle. Un premier indice ? Le remake annoncé ne l’a été que sur son nom et pas sur celui de l’actrice qui pourrait – ou non – lui faire face.
Laisser plus de place aux femmes ? Oui. Leur donner n’importe quelle place sans se soucier au fond de rien changer aux perceptions (un homme, c’est drôle et fort, une femme, c’est beau et gentil) ? Non, merci, non.
Bon cinéma
18 août 2016