Ce sexisme qu’on ne saurait voir
par Helen Faradji
Dans un billet publié la semaine passée, Marc-André Lussier de La Presse dénonçait fort à propos deux textes critiques défonçant allégrement les minces frontières de l’élégance, pour ne pas dire de l’intelligence : celui de Rex Reed, paru dans le New York Observer, assassinant la dodue comédienne Melissa McCarthy, héroïne de la comédie Identity Thief, sur l’autel de la minceur normalisée, et celui de Carlos Boyero, dans El Pais, clouant Les amants passagers de Pedro Almodovar au pilori de la rectitude sexuelle. Deux textes aux relents nauséabonds, remplaçant avec paresse les habituels critères critiques par de vagues et sombres attaques sexistes et homophobes.
Pourtant, à bien y regarder, ces deux textes hautement médiatisés ne seraient-ils que les tristes arbres cachant l’encore plus désolante forêt ? La presse cinéma aura, en tout cas, au cours de la dernière semaine fait preuve de bien drôles de réflexes…
D’abord de façon plus innocente, ordinaire même, en intitulant un article consacré au dévoilement de la nouvelle et superbe affiche cannoise « Cannes rend hommage à Paul Newman », comme si Joanne Woodward, aux côtés de l’homme aux yeux d’or, dans cette reprise stylisée de l’affiche d’A New Kind of Love (Melville Shavelson, 1963) n’était qu’un élément de décor parmi les autres. Ou encore en ne reprenant qu’à peine l’autre nouvelle cannoise de la semaine qui, avouons-le, n’a pas fait les manchettes : la présidence du Jury des courts-métrages et de la Cinéfondation offerte à la palmée Jane Campion. Des détails, certes, mais qui enfoncent également tranquillement le clou du sexisme ordinaire.
Mais encore de façon carrément outrancière, comme le rappelle, et le dénonce, le critique Calum Marsh dans ce texte paru sur le site film.com, et judicieusement nommé : « Lynne Ramsay, and Why We Need to Talk About How We Talk About Female Directors ». Rappelons les faits qui ont dégonflé la balloune de la petite communauté cinéphile ces derniers jours. Après le départ de Michael Fassbender, Lynne Ramsay elle-même (We Need to Talk About Kevin) quittait avec perte et fracas le plateau de son prometteur et nouveau film, Jane Got A Gun, au matin même du premier jour de tournage, avant que Jude Law n’annonce lui aussi son retrait du projet. Si les raisons de ce départ restent nébuleuses, reste que le vrai grain de sable est venu, comme le souligne Marsh, non de la cinéaste, mais de la façon dont le site spécialisé en nouvelles du genre, Deadline.com, a annoncé cette nouvelle, soulignant bien trop clairement que le sexe de la cinéaste, évidemment générateur de drames, n’y était pas pour rien (les départs des 2 comédiens, eux, ont été attribué aux traditionnels « conflits d’horaires » sans plus d’explications) et, surtout, dont il a laissé ses lecteurs la commenter. Du délicieux « she’s clearly P.M.S.ing » au tout aussi avisé « she has set female directors back 20 years », les idées reçues ont volé haut, très haut, dans le sombre ciel de la bêtise.
Que l’on associe encore, en 2013, la féminité à l’hystérie sous l’idée préconçue que les femmes, trop occupées à balayer ou faire la vaisselle ou faire preuve de tendresse maternelle, ont délaissé leurs cerveaux pour ne plus s’en remettre qu’à leurs émotions, dépasse déjà largement les bornes. Mais qu’en plus, on extrapole à partir du cas de Lynne Ramsay pour rappeler que l’existence des femmes réalisatrices dans le merveilleux monde du cinéma ne tient qu’à un fil qu’une simple poussée hormonale suffirait à briser (ou pour le dire plus crument qu’on est déjà bien gentil de leur avoir fait une place, à ces mégères, qu’elles ne viennent pas en plus nous les briser avec leurs drames de bonnes femmes), est plus qu’insultant ; abrutissant. Pour tout le monde.
Bon cinéma ni féminin, ni masculin, tout court
Helen Faradji
28 mars 2013