Je m'abonne
Éditos

Comme à la maison

par Helen Faradji

Alors que la domination du cinéma québécois sur le Rest of Canada en a pris un coup cette fin de semaine, lorsque les prix Écrans canadiens ont soigneusement snobé tout ce qui pouvait venir de la belle Province, ou presque, pour laisser triompher Room de Lenny Abrahamson, une autre hégémonie semble avoir pris du plomb dans l’aile dans les derniers jours: celle des blockbusters sur les salles de cinéma.

En effet, alors qu’ici, espoirs et critiques préventifs sont déjà déchaînés à l’idée que peut-être, éventuellement, allez savoir, le groupe français MK2 installe ses pénates et ses salles sur le boulevard Saint-Laurent, l’industrie américaine semble, elle, regarder en direction d’une nouvelle voie qui ne devrait pas aider à la bonne santé des salles dans le monde.

Faisant mentir l’idée développée par Steven Spielberg et George Lucas que dans l’avenir les salles ne serviraient plus qu’à montrer des films-spectacles, où se déploieraient des effets que seuls un grand écran permettrait d’apprécier, le projet Screening Room vient en effet de trouver des appuis de taille grâce au soutien public qu’ont apporté à ce nouveau service Peter Jackson, Steven Spielberg, Ron Howard, Brian Grazer, Frank Marshall, Martin Scorsese ou J.J. Abrams, qui comptent, faut-il le rappeler, parmi les auteurs les plus lucratifs du moment.

Développé par Sean Parker, cofondateur de Napster (que personne ne ricane, merci), Screening Room vise en réalité à rendre disponibles les blockbusters directement chez soi au moment même où ces derniers seront aussi exploités en salles. Un appareil spécial devra d’abord être acheté pour la modique somme de 150 dollars puis un montant de 50 dollars sera encore demandé afin de se gaver de Superman, X-Men et autres super-héros en capes ou en collants sans avoir à même mettre le nez dehors pour une généreuse durée de 48 heures. Oui. 50 dollars. Par film visionné. Pour deux jours.

Annihilant l’idée d’une fenêtre de temps durant laquelle un film ne peut être vu que dans une salle (ce qui empêchera par exemple ledit service d’être implanté en France où ce délai d’exploitation en salles est une obligation légale), Screening Room a été conçu, selon Jackson, interrogé par Variety, pour faire barrage aux vilains méchants pirates et surtout pour « attirer des spectateurs qui pour le moment ne vont pas au cinéma (…) ce qui va donc augmenter le nombre de gens qui verront des films, sans vider les salles ». Gens qui ont tout de même en commun d’avoir le portefeuille bien garni, aimerions-nous ajouter.

Sur les 50 dollars demandés, 20 seront généreusement reversés aux propriétaires de salles (ou pour le dire autrement, un bonbon leur sera donné en même temps qu’une claque sur le visage) et chaque utilisateur se verra remettre gracieusement deux billets de cinéma pour le film qu’ils ont regardé chez eux et voudraient revoir en salles. Si ce n’est pas du pur génie…

L’idée aurait sincèrement de quoi faire rire si l’on n’avait également appris qu’en plus du soutien de ces réalisateurs, Parker avait aussi eu des pourparlers plus qu’encourageants avec la majorité des grands studios américains, en plus d’un accord apparemment imminent avec la chaîne de salles AMC. Et elle serait encore plus drôle si l’on ne se souvenait pas qu’il y a à peine quelques années Peter Jackson s’était farouchement opposé, avec d’autres cinéastes, à ce que les studios réduisent le délai tampon entre le moment où un film sortait en salles et celui où on pouvait le consommer à la maison…

Les temps changent, les vestes se retournent et les salles ne seront peut-être, pour nos enfants ou leurs enfants, qu’un lointain souvenir que nous leur raconterons la larme à l’œil et des trémolos dans la voix. À moins que les blockbusters et films de studios ne continuent sur leur lancée d’être toujours plus médiocres et insignifiants que le précédent? Car honnêtement, qui débourserait 50 dollars pour pouvoir voir le jour de sa sortie Batman contre Superman, Le mariage de l’année 2 ou Le chasseur – la guerre hivernale ? C’est peut-être là notre seul espoir…

Bon cinema…

 

 


17 mars 2016