Comme un air de printemps
par Helen Faradji
La sinistrose ambiante fait des ravages. Crises, coupures, morosité… La plupart du temps, les nouvelles venant du front ont de quoi désespérer. Mais en ces moments où le noir s’obstine trop souvent à s’incruster comme couleur dominante, il faut aussi reconnaître la valeur de ce qui change, de ce qui bouge, de ce qui permet d’espérer le mieux. Le cas de la cinémathèque québécoise est à ce titre exemplaire.
Il n’y a pas si longtemps, on s’inquiétait pour sa survie. On évoquait une possible fusion, on se désolait de voir l’institution en danger sans que pourtant les choses ne changent réellement. Et puis, la Cinémathèque a pris son destin en mains. Changement de direction, de logo, d’image, lignes de programmation plus éclatées, claires, collaboratives et riches, volonté claire et nette de refaire du bâtiment du boulevard Maisonneuve, empesé par une réputation un brin poussiéreuse, un lieu de vie et d’échanges… après l’hiver, les premiers rayons de soleil sont apparus. Contre vents et marées.
Ainsi, remettant de l’avant cette magnifique idée que le cinéma est affaire de transmission et d’éducation, les dimanches sont désormais consacrés depuis le 10 janvier dernier à des projections famille (d’Astérix et Obélix contre César jusqu’à Azur et Azmar, en passant par une séance réservée à des courts de l’ONF). Une idée toute bête mais à laquelle il fallait penser et qui permet d’éveiller les imaginaires des chères têtes blondes tout en refaisant de cette mission une priorité bien logique de la Cinémathèque.
Mais les propositions ne s’arrêtent pas là. Il y a bien sûr d’abord cette faille laissée par la disparition de l’ExCentris dans la diffusion du cinéma en salles et que la Cinémathèque se propose de combler à sa façon en accueillant dans sa programmation plusieurs films choisis et laissés orphelins par cette disparition. Des sorties régulières (telles L’étreinte du serpent de Ciro Guerra, le documentaire La démolition familiale de Patrick Damien ou prochainement Montréal New Wave d’Érik Cimon et Francofonia, le dernier-né de Sokurov), donc, que la Cinémathèque permet de ne pas voir disparaître dans la nature.
Il y a encore les cycles, raison d’être traditionnelle de la Cinémathèque qui, en plus de faire la lumière sur des cinéastes plus méconnus, semblent aussi avoir renoué avec une certaine flexibilité, rendant par exemple hommage ces mois-ci aux œuvres des récents disparus Andrzej Zulawski, François Dupeyron ou Jacques Rivette (dont le fameux et gargantuesque Out One sera présenté en juin).
Parmi ceux-là, on se permettra d’attirer l’attention sur deux nouveautés particulièrement intéressantes en ce qu’elles paraissent motivées par la volonté louable d’enfin faire disparaître ce vieux cliché selon lequel la Cinémathèque ne serait « réservée » qu’aux cinéphiles les plus purs et durs qui seuls seraient dignes de ses joyaux. Le premier, qui se présente en outre comme une proposition fondamentalement démocratique, s’intitule Le choix des politiciens et vise à faire découvrir les coups de cœur de ceux qui nous gouvernent et qui viendront les présenter. Régis Labeaume jasant du Confessional de Robert Lepage, une impossibilité ontologique ? Ça avait pourtant bel et bien lieu le 2 avril dernier. Le second cycle, lui, donnera peut-être moins d’urticaire aux services de sécurité, mais n’en reste pas moins passionnant. Nommé Films en dialogue, il met côte à côte deux films aux inspirations, thèmes ou formes similaires, comme il a été le cas samedi dernier avec Duel de Spielberg et Figures in a Landscape de Losey. Un deux-pour-un nourrissant et original.
Si dans ces deux derniers cas, les mois prochains permettront d’en savoir plus sur la teneur de ces cycles, et que l’on espère voir encore plus se développer ces rencontres et ces discussions, l’on sent en tout cas assurément la Cinémathèque en plein bouillonnement d’idées. Et voir que dans notre contexte, une institution pareille refuse de baisser les bras et travaille d’arrache-pied pour que le cinéma reste cet art passionnant et vibrant est plus qu’encourageant, mais inspirant. Nous reste maintenant à nous public de leur prouver qu’ils ont raison. Nous reste à nous public de démontrer que non, le cinéma n’est pas un art mort au Québec.
Bon cinéma.
14 avril 2016