Créer des quotas pour créer une culture?
par Céline Gobert
Ce mois-ci, l’ONF a profité de la Journée Internationale des droits des femmes du 8 mars dernier pour annoncer que l’institution, déjà engagée sur le sujet, allait viser la parité (50%) pour les projets en production en 2020 dans les domaines de l’animation, du documentaire et des œuvres interactives, et notamment dans des champs d’expertise où l’on compte peu de femmes: le montage, la direction de la photographie, la scénarisation et la composition musicale.
Il emboîte ainsi le pas à Téléfilm qui avait annoncé à l’automne qu’il favoriserait les projets, «à qualité égale», réalisés et scénarisés par une femme dans un même objectif de parité, et à la SODEC qui a dévoilé en février son plan d’action pour la parité d’ici 2020. Ce dernier prévoit notamment «la mesure du 1+1» qui permet à une entreprise de déposer deux projets de longs métrages de fiction à condition que l’un de ceux-ci soit scénarisé ou réalisé par une femme.
Une première question se pose : les quotas sont-ils une bonne chose?
Oui, car ils créent une culture. Plus les spectateurs auront accès à des œuvres de cinéastes femmes, moins ils seront acculturés par un cinéma d’hommes. Le cinéma québécois nous a offert de forts et beaux personnages de femmes (chez Gilles Carle ou plus récemment Xavier Dolan) mais ils demeurent issus de l’imaginaire masculin, et traités par un regard et un point de vue masculins.
L’association Réalisatrices Équitables, présidée par Isabelle Hayeur, s’est d’ailleurs penché sur cette question de la représentation des femmes au cinéma, et en a tiré des constats quelque peu effrayants. Il apparaît ainsi que dans la fiction, le sexe des héros des films et des émissions de télévision aurait très souvent tendance à être le même… que celui de leur créateur! Que se passe-t-il alors quand le Québec produit 6 fois plus de films réalisés par des hommes? Les jeunes femmes auraient moins de personnages principaux féminins auxquels s’identifier au cinéma. Quelles sont les conséquences d’une telle proportion lorsque l’on sait également, toujours selon les études de Réalisatrices Équitables, que les réalisateurs ont tendance à sexualiser leurs personnages féminins environ … 5 fois plus que les réalisatrices? Et que dans ces films, les femmes sont le plus souvent cantonnées à des rôles de secrétariat et services, d’enseignement et bibliothèque, ou de prostitution et danse érotique? On vous laisse deviner l’impact que cela peut avoir sur la façon dont les filles et les adolescentes se perçoivent…Et sur la façon dont les garçons perçoivent les femmes. Une étude du magazine Science a d’ailleurs créé une petite secousse récemment en affirmant que les filles se sentiraient inférieures aux garçons dès l’âge de 6 ans… Ceci explique peut-être cela.
Les quotas permettraient donc de favoriser une diversité de regards qui bénéficierait à la société dans son ensemble. Si grâce à eux, on peut voir plus d’œuvres réalisées par des femmes, go!
Les initiatives désirant mettre en avant les femmes se multiplient d’ailleurs à Montréal. En plus des projections mensuelles du collectif « Femmes Femmes » présentées par Anika Ahuja et Rebecca Ladds, qui ont pour but de mettre en lumière la présence de femmes fortes au cinéma ainsi que des thématiques liées à la violence, la sexualité et la santé mentale, la Ville accueillera du 20 au 23 avril prochain, la première édition du Festival des Films Féministes de Montréal (FFFM) fondée par Magenta Baribeau, réalisatrice du documentaire Maman? Non merci! Le festival présentera une vingtaine de courts-métrages internationaux, réalisés aussi bien par des femmes, que des hommes ou des personnes trans. Le contenu des films sélectionnés reflétera les luttes féministes : des violences domestiques au harcèlement de rue, jusqu’aux questions queer. La cinéaste, qui était à Berlin il y a deux semaines pour présenter son film dans un festival féministe de ce genre, va même plus loin sur cette question de quotas: « Le problème avec la parité hommes-femmes annoncée par ces organismes est qu’elle ne prend pas du tout en compte les personnes trans et non binaires», déplore-t-elle.
Une deuxième question, celle-ci plus angoissante, s’impose : les quotas seront-ils suffisants?
On sait que les femmes sont nombreuses dans les écoles de cinéma, elles représentent près de la moitié des étudiants. Derrière la caméra, et d’après les calculs que le critique de cinéma Jean-Marie Lanlo et moi-même avons effectué lors de l’écriture du livre Le cinéma québécois au féminin (1) publié la semaine passée, seuls 18% des longs-métrages de fiction majoritairement québécois sortis en salles entre 2013 et 2016 ont été réalisés ou coréalisés par une femme. Que se passe-t-il entre l’université et le moment de faire un film? Les femmes disparaissent! Pourquoi? L’une des pistes de réflexion les plus intéressantes est que les femmes ne parviendraient tout simplement pas à survivre financièrement dans cet entre deux et, par conséquent, abandonneraient leur carrière. Là où les hommes pullulent dans les milieux de la publicité et du clip, les femmes y sont minoritaires. Certaines cinéastes nous ont même confié que les clients étaient réticents à confier certains sujets publicitaires (les voitures, les burgers…) à des femmes! De plus, la pub et le clip sont d’excellents moyens d’aiguiser sa technique par exemple…
Ces boys club tendent-ils à réduire de beaucoup la présence des femmes aux étapes suivantes que sont le dépôt de scénario, et la réalisation? Est-ce vraiment par l’instauration de quotas que l’on peut remédier à cette situation? Ou n’est-ce pas justement ces quotas qui permettront une vraie remise en question culturelle générale? Dans tous les cas, c’est un premier pas vers le changement. Et comme le résume justement Isabelle Hayeur sur cette question : « «Il faut donner ce coup de pouce, sinon rien ne va se passer. Si plus de femmes font des films, il va y avoir des personnages plus diversifiés, ce qui va aider à changer les mentalités.»
(1) «Le cinéma québécois féminin», Céline Gobert, Jean-Marie Lanlo, Éditions L’Instant Même, 2017.
31 mars 2017