Éditos

Documentaire : nouvelles pratiques

par Bruno Dequen

Il y a quelques mois, après 23 ans à la barre de 24 images, Marie-Claude Loiselle nous annonçait son désir de poursuivre d’autres projets. C’est avec humilité et enthousiasme que je reprends aujourd’hui le flambeau d’une revue que Marie-Claude aura su diriger avec rigueur et passion au fil de ces nombreuses années qui auront vu le monde du cinéma connaître d’importants changements à tous les niveaux. Sous son impulsion, 24 imagesaura su prendre acte de ces bouleversements, tout en maintenant un regard critique et intègre capable de mettre en perspective les enjeux économiques, esthétiques, politiques et philosophiques du 7e Art.

24 images s’est toujours donné pour mandat de soutenir le cinéma de création et de développer une pensée critique exigeante. Cette mission demeure inchangée, et il est primordial de continuer à réfléchir au rôle d’une revue culturelle à une époque où de nombreuses œuvres ne trouvent plus le chemin des salles et où les kiosques deviennent une espèce en voie de disparition. Loin de la logique commerciale à très court terme qui régit malheureusement l’exploitation actuelle des films, 24 images continue de privilégier un point de vue à plus grande échelle qui cherche à dialoguer avec les œuvres et leurs créateurs, qui propose des mises en contexte et qui tente de défricher les tendances les plus singulières du cinéma contemporain.

Afin de permettre une diffusion plus adéquate de nos textes, nous avons développé une application disponible sur toutes les tablettes iPad et Android. Cette version numérique de la revue n’a pas été conçue comme une simple bouée de sauvetage, mais plutôt comme un nouveau médium permettant d’offrir de nouvelles propositions de lecture et de contenu. Outre la possibilité d’illustrer abondamment les articles, cette application propose des textes et des sections inédites qui visent à enrichir l’expérience de chaque numéro. Dans cette même optique, les critiques publiées sur notre site vont désormais s’affranchir d’une date de tombée liée systématiquement à la sortie des films en salle afin de prendre en compte les productions disponibles sur d’autres supports et de présenter une vision plus claire du cinéma que nous désirons défendre.

Depuis des années, les dossiers sont le cœur de la revue. Ils sont l’une des forces de 24 images et le résultat d’un véritable travail d’équipe. Nous continuerons de proposer dans chaque numéro un ensemble unifié de textes de réflexion sur des sujets précis, à l’image du présent dossier autour des nouvelles pratiques observées dans le cinéma documentaire actuel. Les textes de ce numéro analysent ainsi des démarches aussi variées et singulières que celles de Thom Andersen, Dominic Gagnon, Kazuhiro Soda, Robert Greene, Abbas Fahdel, Anna Roussillon, Patricio Guzman, Isiah Medina et Michka Saäl. Dans un tout autre genre, impossible de passer à côté du phénomène Star Wars. De l’utilisation de sa musique aux implications politiques de son univers, en passant par la carrière de son réalisateur J.J. Abrams, la saga intergalactique est observée sous de multiples angles.

Réalisateur déjà culte mais pourtant peu diffusé ici, l’Anglais Ben Wheatley, qui ouvre ce numéro, fait fi de toute catégorisation et démontre une indéniable capacité à politiser les sombres fables de son cinéma de genre décloisonné. Chaque numéro de 24 images mettra désormais l’accent sur le travail d’un cinéaste en particulier, à travers des textes, entrevues, et, si possible, un accès aux outils de création de l’artiste. Au cours de l’année, nous choisirons des cinéastes hétéroclites dont le travail nous interpelle particulièrement.

Les généreux entretiens que nous ont accordés Thom Andersen et Ben Wheatley n’ont d’égal que celui de Denis Lavant. L’acteur fétiche, de passage à Montréal l’été dernier pour le tournage de Boris sans Béatrice de Denis Côté, en a profité pour dresser avec nous son autoportrait d’artiste et de baladin, de ses débuts à nos jours.

Évidemment, les derniers mois ont été lourds en disparitions. Aussi nous a-t-il semblé important de revenir sur l’héritage d’Eduardo Coutinho, immense documentariste brésilien décédé l’an dernier qui a su raconter son pays mieux que quiconque en inventant un art de la conversation profondément cinématographique. Pour ce qui est de Jacques Rivette, sa mort trouve un écho particulier dans nos pages puisque nous avions décidé de consacrer un texte à la ressortie de son monumental Out 1 au moment où nous avons appris sa disparition. Enfin, aucun décès n’a suscité autant de réactions cette année que celui de David Bowie. Sa mort a été d’autant plus marquante que cet artiste complet aura décidé d’en faire un ultime objet de création, à l’image de Mishima qu’il vénérait. De Guzman à Bowie, en passant par Wheatley et Lavant, notre sommaire est à l’image de la diversité des démarches qui nous inspirent. Si le cinéma est mort, il a décidément de beaux restes !

Ces disparitions que nous venons d’évoquer sont également venues nous toucher personnellement avec le décès de notre ami et collègue Réal La Rochelle à qui nous dédions ce numéro.


24 février 2016