Éditorial – Numéro 180
par Bruno Dequen
TOP 10 2016 DE LA RÉDACTION
1- TONI ERDMANN (Maren Ade)
2- ELLE (Paul Verhoeven)
3- MIA MADRE (Nanni Moretti)
4- THE WOMAN WHO LEFT (Lav Diaz)
5- COMBAT AU BOUT DE LA NUIT (Sylvain L’Espérance)
6- AQUARIUS (Kleber Mendonça Filho)
7- L’AVENIR (Mia Hansen-Løve)
8- ANOTHER YEAR (Shengze Zhu)
9- NOCTURAMA (Bertrand Bonello)
10–THE NEON DEMON (Nicolas Winding Refn)
Mis à part l’élection d’un clown vulgaire à la Maison Blanche, 2016 restera probablement dans les mémoires comme une année « hécatombe » dans le domaine artistique, et le cinéma en particulier. De Bowie à Cohen, en passant par Rivette, Kiarostami, Prince, Zulawski, Zsigmond, Wexler, Cimino… À cet égard, notre section « hommages », qui n’était qu’intermittente, est devenue régulière. Nous saluons d’ailleurs les accomplissements mémorables de Andrzej Wajda et de Pierre Étaix dans ce numéro. Au-delà de l’importance des œuvres de ces créateurs, les chocs qu’ont provoqués leurs disparitions permettent entre autres de prendre conscience de l’évolution de la culture populaire. En effet, ces décès ont été particulièrement douloureux parce qu’ils symbolisent notamment la fin d’une époque où le cinéma d’art et d’essai n’était pas qu’un art accessible exclusivement aux cinéphiles pointus et aux festivaliers passionnés. Tous ces artistes représentaient une sorte d’âge d’or définitivement révolu à l’ère des sorties limitées et de la dictature douce Netflix-Disney. Cette disparition de tout un pan de l’histoire du cinéma est d’autant plus frappante que l’année 2016 a également été marquée par l’explosion des projets de réalité virtuelle, nouvelle obsession de toutes les institutions culturelles, qui promettent d’emporter l’art audiovisuel vers de nouvelles avenues créatives et qui, pour la première fois, ont les moyens de leurs ambitions. Entre la mort des Grands et la poussée des Samsung Gears, que dire du bon vieux cinéma 2D en 2016 ? Contrairement à tous ceux qui annoncent depuis longtemps sa mort annoncée, il résiste plus que jamais – et ce, à tous les niveaux.
Face à l’immersion 360, il propose un travail sur la durée, symbolisé dans notre top 10 par les films de Lav Diaz, Sylvain L’Espérance et Shengze Zhu, qui permet d’aborder comme jamais toute la complexité des enjeux du monde et d’affirmer une approche humaniste qui a véritablement besoin de temps pour se déployer.
Face à la difficulté d’atteindre une véritable égalité des sexes, le cinéma dresse aussi les portraits inoubliables de femmes qui, dans Toni Erdmann, Elle, Aquarius et L’avenir, refusent d’être englouties dans la morosité ambiante et affirment sans gêne leur identité et l’importance de leur place dans le monde. Et ces « insoumises », ces figures de résistance, ne sont pas seules, comme le souligne Gérard Grugeau dans un texte qui aborde également Les vies de Thérèse et Le disciple.
Face au flux ininterrompu et de plus en plus insensible d’images de réfugiés, cinéastes de fiction et documentaire ont proposé par ailleurs des œuvres puissantes et nécessaires qui « ont eu à cœur de trouver une écriture originale pour nous rejoindre et nous secouer », selon Robert Daudelin.
Qui plus est, face au classicisme un peu posé d’un certain cinéma narratif, Ouananiche, Charles-André Coderre, Yann-Manuel Hernandez et Karl Lemieux, les jeunes cinéastes québécois qualifiés par Philippe Gajan de « nouveaux alchimistes », s’inspirent de leurs expériences aux confins d’autres arts (musique, performance) pour proposer des œuvres immersives qui redéfinissent l’expérience du spectateur et affirment l’importance de la salle de cinéma.
Ceci dit, le cinéma de 2016 n’en était pas qu’un de combat. Les visions pessimistes de fin du monde demeurent présentes, et les films de Bertrand Bonello, Mathieu Denis et Simon Lavoie, véritables cris d’alarme étrangement dépolitisés face à l’impasse de nos sociétés actuelles, risquent de susciter bon nombre de discussions dans les mois à venir.
À travers notre top de la rédaction et nos découvertes de l’année, c’est le portrait d’un cinéma qui se remet constamment en question et qui cherche de nouvelles écritures permettant de rendre compte de la complexité de la réalité que nous avons voulu mettre de l’avant. Il semblait pertinent de mettre en évidence dans ce contexte le travail du cinéaste documentaire belge Pierre-Yves Vandeweerd. Comme l’explique Charlotte Selb, ce cinéaste « hanté par la disparition, par la nécessité de donner un visage et une voix aux oubliés du monde […] poursuit film après film sa quête politique et esthétique de rencontre et de mémoire. » En proposant un texte, un entretien et Les Tourmentes, son dernier film, en DVD, nous espérons faire découvrir un cinéaste essentiel qui se nourrit de musique, de poésie et de l’art de la performance pour développer une écriture singulière qui repousse les limites du documentaire et permet de capter l’essence des êtres.
3 décembre 2016