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Éditos

En avant jeunesse

par Helen Faradji

C’est ce mercredi 12 que débutaient les 17e Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal. Documentaire comme dans regards sur le monde précis, clairs, effrayants ou réconfortants. Documentaire comme dans visions inusitées aidant parfois, souvent, à voir avec plus de reliefs ce magma d’images et d’informations auquel on tente de réduire le monde. Documentaire encore comme dans véritables films de cinéma, n’en déplaise à ceux pour qui la forme ne mérite qu’une attention télévisuelle et ponctuelle. Documentaire enfin comme mise à l’honneur de films qui, le reste de l’année, sont plus que souvent ignorés.

Documentaires, donc, qui cette année formeront la cohorte d’une programmation évidemment marquée par quelques gros coups : The Look of Silence, de Joshua Oppenheimer d’abord qui après avoir interrogé et fait recréer leurs crimes aux bourreaux de l’Indonésie des années 60 dans The Act of Killing, déplace son regard vers les victimes et survivants, mais encore The 50-Year Argument où Martin Scorsese et David Tedeschi détaillent le fonctionnement du New York Review of Books, Maïdan de Sergei Loznitsa, retour du réalisateur du sublime My Joy au documentaire par une plongée dans les rues mouvementées de Kiev, National Gallery de l’incontournable Frederick Wiseman, Citizen Four où Laura Poitras s’immerge en pleine paranoïa contemporaine via sa rencontre avec Edward Snowden, We Come as Friends, où Hubert Sauper se fait aussi percutant en observant la situation du Soudan qu’il y a 10 ans lorsqu’il révélait son Cauchemar de Darwin (à noter, le cinéaste donnera une conférence sur le néo-colonialisme). Quelques curiosités aussi, à dénicher, du côté de deux cinéastes pour qui la fiction et la documentaire ne connaissent visiblement pas de frontières : Debra Granik (Winter’s Bone) et de son Stray Dog, portrait d’un motard, vétéran du Vietnam ou Pierre Schoeller (L’exercice de l’État) dont Le temps perdu plonge dans la réalité d’un camp de réfugiés syriens en plein Kurdistan irakien.

Mais une programmation peut-être, surtout, s’élevant grâce à trois films, trois œuvres étonnamment lointaines l’une de l’autre, mais étonnamment proches dans ce qu’elles disent et montrent de nous et de nos futurs. Trois œuvres, l’un québécoise, l’une congolaise et l’une française qui tissent, avec bonheur, des liens à travers les continents et les fuseaux horaires par mieux prendre le pouls commun d’une jeunesse avide de demain, empêtrée dans le présent. Trois observations, toutes dans cette si belle tradition du cinéma direct, des espoirs, des rêves, des frustrations, des angoisses que créent différents systèmes d’éducation – notamment dans leurs réalités les plus marginales et transversales – à travers le monde.

Il y a d’abord ces jeunes hommes et femmes à Kisangani, au Congo, qui rêvent à demain mais n’ont pas les moyens de payer les frais nécessaires à passer l’examen d’État indispensable à qui veut pouvoir poursuivre ses études et espérer se hisser au-delà des maigres perspectives communes. Système D, organisation parallèle, logique marchande s’insinuant même dans les aspirations les plus nobles, et véritable suspense, particulièrement immersif, et dont l’enjeu serait tout simplement l’avenir de ces jeunes, de leurs pays, du continent, du monde… Une situation toute particulière pour mieux dire des préoccupations toutes universelles, avec la simplicité et la justesse de ceux qui savent regarder : non, Examen d’État, de Dieudo Hamadi, ne fait pas qu’enregistrer une situation, il la décrypte avec une finesse et une force bouleversantes pour mieux nous inviter à voir au-delà des constats sensationnalistes. Un tour de force.

Même sentiment d’intime rejoignant le plus global dans un geste souple et sans prédétermination devant La marche à suivre de Jean-François Caissy. Une poignée de jeunes que l’on dit pudiquement « à problèmes » dans une école secondaire de Gaspéise, des séances où des intervenants hors champ tentent de les aider à mieux apprivoiser leur quotidien, une mise en scène de pur cinéma rendant plus grands que natures les moindres petits bobos à l’âme pour mieux embrasser, du même regard, à la manière d’un Wiseman, toute l’institution, de ses façons d’aider les plus concrètes à ses failles les plus béantes. Le cinéma est là.

Comme il l’est assurément dans La cour de Babel de Julie Bertuccelli (Depuis qu’Otar est parti) et sa mise à plat de tout ce qui peut se jouer dans une classe d’accueil en France pour jeunes immigrés. On y apprend la langue, bien sûr, mais aussi les valeurs, les cultures, les identités des autres sous le regard et l’écoute bienveillants d’une enseignante comme il n’en existe que dans les rêves. Sans rien brusquer, Bertucceli capte, sublime, fait lever le regard vers le haut, vers ces lendemains qui, s’ils n’ont rien d’enchantés, seront forcément plus beaux.

L’école comme terreau de toutes les découvertes, de tous les espoirs, et trois preuves de plus que le documentaire, celui-là même qui sait marcher main dans la main avec le réel, est plus que d’actualité : il est notre réalité? Vive le vrai!

Les RIDM ont lieu du 12 au 23 novembre

Bon cinéma!
 


13 novembre 2014