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Éditos

En avoir (ou pas)

par Helen Faradji

Flash-back. Nous sommes au mois de mai dernier, au bord de la Méditerrannée. Dans un bunker qu’on dit palais, une jeune femme monte sur scène. Son discours fleuve et fougueux réveille l’assemblée toute de paillettes et de boas vêtue. Pour remercier Edouard Waintrop de lui avoir fait une belle place dans sa Quinzaine, elle lâche notamment son désormais célèbre “t’as du clit”, inventant avant l’heure et avec un panache un rien plus subversif le type du discours « safianolanesque ».

En mai dernier, Houda Benyamina gagnait ainsi de façon fort méritée la caméra d’or au festival de Cannes et son Divines, comme tant d’autres avant lui, s’apprêtait à trouver sa vitesse de croisière en entamant ce qu’on pouvait encore imaginer être un joli parcours “à l’ancienne”, après un buzz sacrément séduisant né sur la Croisette.

Mais voilà que Netflix s’en est mêlé. Voilà que l’histoire de Dounia, jeune fille bien décidée à ne pas s’en laisser conter dans sa banlieue gangrénée par toutes sortes de trafics, et dont le cheminement lui fera côtoyer tant l’espoir que la tragédie, est en effet, avant même d’avoir pu commencer quoi que ce soit, retournée à la case départ (en touchant tout de même son joli petit pactole). Pas de sorties en salles, pas de présence en festivals locaux, pour tous les territoires hors France: la loi de Netflix ressemble presque à un couperet. Rappelons d’ailleurs que l’implantation de Neflix en territoire hexagonal ne s’est pas fait sans heurt, le service de streaming s’y étant longtemps heurté à une législation prévoyant le réinvestissement des revenus de diffusion dans la création, que Netflix ne respecte évidemment pas, ainsi qu’à une autre interdisant la diffusion de films sur ce genre de plate-forme moins de 36 mois après leur sortie en salles.

Or, depuis vendredi, Divines a bel et bien atterri sur Netflix partout dans le monde. Oubliant cette erreur technique de Netlfix France qui l’a aussi inscrit à son catalogue avant de réaliser son erreur et de le déprogrammer au courant de l’après-midi, le film, sorti en août dernier dans les salles, ne sera par contre disponible sur Netflix en France qu’en… août 2019 (mais sera en DVD, Blu-Ray et VOD dès janvier prochain) !

D’un côté de l’Atlantique, donc, un film attendu, à la hauteur de sa réputation, du genre à réveiller, réconforter et vivifier le cinéphile, rendu disponible à tous, mais privé de sorties en salles. De l’autre, le même film, sorti en salles, mais qui devra attendre 3 ans avant de pouvoir rejoindre cette autoroute virtuelle n’impliquant d’effort que celui de naviguer au plus creux des fameux algorithmes.

D’un côté, un modèle de distribution radicalement nouveau qui privilégie l’accessibilité la plus totale, de l’autre, un modèle à l’ancienne qui, métaphoriquement, ressemble aussi à un geste de résistance pour la survie des salles de cinéma. Mais au fond, deux modèles qui font preuve d’un même absolutisme en se montrant catégoriquement exclusifs. Comme si la salle et une diffusion en streaming ne pouvaient pas cohabiter, comme si l’un déniait l’existence même de l’autre. Comme si l’un devait dominer l’autre.

Il y a en effet quelque chose d’absurde à exiger qu’un film soit privé de sortie en salles, comme il y a quelque chose de rigide à prévoir un délai de trois ans entre une telle sortie et une accessibilité virtuelle. Dans les deux cas, impossible de ne pas comprendre le cas de Divines comme une sorte de guerre de tranchées dont au fond, le seul qui ressortira véritablement vaincu est le film lui-même. Peut-être pas en France même, mais assurément à l’étranger où cette histoire sensible et puissante à la fois, d’une fébrilité et d’une joie mêlée de drame tonique et terrorisante, ne pourra pas jouir de ce grand écran, de ce son, de ce noir, de cette communauté de spectateurs pour résonner de la façon la plus forte possible.

En réalité, ce qui choque avec le cas de Divines, tout droit sorti de ce giron le plus cinéphile de la planète qu’est le Festival de Cannes mais montré partout dans le monde sur des ordinateurs ou des écrans de télévision, c’est la bataille symbolique que la salle semble avoir perdu : celle du prestige.

Il faudra probablement s’y faire.

 

Bon cinéma, où qu’il soit.


24 novembre 2016