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Éditos

En toute indifférence

par Helen Faradji

Oui, bien sûr, on pourra se cacher derrière « l’affaire ». Dire que, dans les circonstances, tout le monde s’en est quand même bien tiré, que ça aurait pu être tellement pire. C’est vrai. Dès les premières secondes, Pénélope McQuade et Stéphane Bellavance, animateur de ce Gala du Cinéma Québécois nouvelle mouture, ont affronté le pire, assurant les victimes de l’entière compassion de ce milieu du cinéma pas tout à fait en odeur de sainteté. Ils ont bien fait, avec sincérité et solennité bien qu’avec une rapidité expéditive, avant d’enchaîner sur un numéro d’ouverture un rien plus relevé que d’habitude.

Puis, on est passé à autre chose. Puis, on a fait comme d’habitude. Et l’on s’est rappelé alors que le problème, avec le Gala du cinéma québécois, ce n’est pas son nom, ce ne sont pas les films qui y sont nommés ou pas, ce ne sont même pas les blagues qui tombent à plat. Non, le problème avec cette soirée, problème endémique et particulièrement remarquable cette année, c’est qu’elle ne prend pas au sérieux le cinéma qu’elle entend pourtant célébrer.

Comment, en effet, ne pas être choqué ? Sur scène, dans les nombreuses infopubs, on entendait la même chose : soyons fiers de notre cinéma. Mais comment l’être lorsque la soirée supposée l’honorer peut être résumée par un adjectif démoralisant : précipité ?

Oui, précipité. Débutée à 20h, finie à 22h, avec un nombre de publicités conséquent, en 1h30, la soirée a été emballée, pesée, oubliée. Bien sûr, on se plaint toujours des Oscar ou des César et de leurs interminables soirées. Mais il doit bien exister un juste milieu ? Une formule dans laquelle, par exemple, les directeurs photos, monteurs, artisans du sons, maquilleurs, coiffeurs ou costumiers ne seraient pas « honorés » simplement par une mention en bas de l’écran à un retour de pub. Une formule durant laquelle on ne leur privilégierait pas une « reconstitution » des intrigues de nos films millionnaires avec des jouets, réduisant notre cinéma à un fantasme de sauna multi-lesbien ou à quatre dark vadors se battant en duel. Une formule où l’on ne ferait pas remettre, sans le moindre décorum, le prix du film s’étant le plus illustré à l’étranger sur le tapis rouge, donc quasi-hors d’ondes, par un animateur qui aura tout de même ouvert la soirée en affirmant, sans rire, au public : « merci, vous avez été au rendez-vous cette année ». Bref, une formule où l’on ne garrocherait pas l’essentiel – le cinéma – pour faire du superflu et du crémage la substantifique moëlle de l’événement.

Le numéro – fort réussi – d’Irdens Exantus (meilleur acteur de soutien, et grand gagnant de cette tristounette soirée, avec Patricio Henriquez, meilleur documentaire, qui aura fait honneur à tous ceux qui pensent que le cinéma ne se vit pas en totale déconnexion du monde dans lequel on vit) revenu sur scène dans les habits de son personnage de Souverain Pascal était à ce titre fort éloquent. Observant notre industrie de ses yeux de candide, il a rappelé l’odieuse évidence, félicitant Radio-Canada de ne diffuser les films québécois que la nuit ou les Québécois de n’être fiers de leur cinéma que lorsque celui-ci gagnait des prix à l’étranger. Mais imaginons ce qu’un vrai Souverain aurait pu dire en regardant ce gala… « Ah oui, ok, donc chez vous, ceux qui montent et ceux qui éclairent ne sont que des accessoires »? « Oh, et vos présentateurs, là, ils sont trop timides pour dire autre chose que ‘voici les nommés, voici le gagnant’ » ? « Ouf, vous êtes efficaces dans votre pays ! 90 minutes pour récompenser tout le monde ! La prochaine fois, faites-le donc sur Twitter, votre gala, ça ira encore plus vite » ?

Jutra, pas Jutra, le problème avec ce Gala, et les précédents, est symptomatique de ce mal profond qui gangrène l’industrie : préserver à tout prix les apparences et balayer le plus rapidement ce qui coince, ce qui grince, sous le tapis en espérant que les débordements humains (trois mots sur la fermeture de l’ExCentris ? Une mention qu’il est tout de même ironique de voir un film refusé par la Sodec et dont le réalisateur s’est plaint de ne plus pouvoir tourner au Québec gagner le prix du meilleur scénario… ?) ne viendront pas gâcher la fête.

Quant à la grande gagnante de la soirée, Léa Pool et sa Passion d’Augustine, on se réjouira bien sûr que pour la première fois, une femme ait pu remporter le trophée du meilleur film. On se gardera toutefois le droit de regretter que ce soit pour ce film-là.

 

Bon cinéma


23 mars 2016