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Éditos

Festivalite aigue

par Helen Faradji

Le Festival des Films du Monde s’est achevé dans un climat au mieux teinté d’une indifférence résignée, au pire d’une colère légitime de la part des employés cherchant encore comment réussir à récupérer leur du. Le festival de Venise a surpris en jouant à fond la carte de la première : premier lion d’or attribué à un film latino-américain, Desde Alla, premier long de Lorenzo Vigas, et premier vénézuélien à s’aventurer en compétition là-bas. Le Festival du Nouveau Cinéma et les Rencontres Internationales du Documentaire commencent à rivaliser de communiqués annonçant ceci et cela pour mieux mobiliser les cinéphiles. Film Pop occupe le terrain depuis hier, et jusqu’au 20 septembre prochain, en mettant à l’honneur Sho Miyake (Playback, dévoilé à Locarno et The Cockpit) et Showgirls, en projection de minuit, dont 20 ans plus tard, on se demandera encore s’il s’agit d’un nanar culte ou d’une œuvre de génie. Le Festival de Québec ouvre ses portes. Cinémania et Les Sommets de l’animation commencent eux aussi à mettre la table avec le dévoilement récent de leurs nouvelles affiches. Quant au festival international de Toronto, il se poursuit encore entre projections de gala visant principalement à faire naître le buzz autour des futures bêtes à Oscar et alignement dantesque de films de tous horizons projetés au milieu d’un programme terrifiant où même une chatte ne saurait lequel de ses chatons choisir.

Et l’on ne parle là que des rassemblements majeurs.

Essoufflé ? Oui, évidemment. Mais surtout préoccupé par cet éléphant au milieu de la pièce qu’une petite visite de quatre jours au TIFF la semaine passée nous aura fait (re)voir peut-être un peu plus clairement que d’autres années, alors que la saison maudite s’entame : avons-nous réellement besoin d’autant de festivals à Montréal ?

Bien sûr, Toronto accueille aussi en son confortable sein d’autres festivals de cinéma. Mais le TIFF, de par son ampleur, de par sa capacité à remplir ses salles de public, de par son occupation de la ville (les rues entourant le centre névralgique de la bête deviennent piétonnes pour l’occasion), met réellement la ville à son propre diapason. Et le cinéma, décliné autant en grosses machines de guerre attirant le quota de stars nécessaires à divertir le badaud qu’en œuvres à découvrir, protégées et promues par le sceau quasi-royal qu’appose sur elles le TIFF, y gagne assurément.

Sans rien vouloir enlever aux forces festivalières en présence à Montréal (15 selon wikipédia), on ne peut pas forcément en dire autant d’une seule d’entre elles. Évidemment, on se rappellera ici de l’échec pur et simple de la tentative d’implanter une grenouille qui se rêvait plus grosse que le bœuf (le Festival international du film de Montréal, en 2005). Mais cette tentative, faut-il le redire, n’avait pas tant visé à concentrer en un seul espace-temps le meilleur du meilleur de ce que les expertises acquises dans le monde des festivals montréalais avaient à offrir, mais plutôt simplement à en ajouter un sur la mappe, en espérant qu’il écrase tout le reste de son poids. Additionner, plutôt qu’amalgamer, en somme, ce qui, dans cet univers si particulier des festivals, ne peut évidemment qu’ajouter à la confusion.

Pourtant, les forces et les compétences sont assurément déjà là. Seulement, elles sont morcelées, diffusant par piques sporadiques plutôt qu’en concentration.

Alors quoi ? Faut-il tout simplement abdiquer et accepter que Montréal reste symbolisée par cet éparpillement un rien épuisant, chacun se tirant la bourre pour attirer telle ou telle première, chacun attirant sa clique, sans réellement penser que le public, lui, n’en a probablement que peu à faire, lui qui doit déjà diviser son attention ?  Ou peut-on encore rêver que Montréal existe de façon festivalière en grand, en beau, en indispensable ?

Si cette dernière avenue fait évidemment envie, elle implique aussi que quelqu’un, quelque part accepte de partager et que les autres suivent. En gros, non plus, chacun pour soi, mais un seul pour tous. Non plus une multiplication de petits sans réels moyens, mais un seul, solide et englobant, capable de générer un réel entrain et d’entraîner alors à sa suite des manifestations plus ciblées encore. Et il faudrait aussi alors accepter que Montréal n’a peut-être pas besoin, ni les épaules pour, d’un gros festival généraliste, mais qu’elle pourrait s’illustrer par l’accueil d’un dodu festival spécialisé (le choix est vaste) à la ligne éditoriale précise et rigoureuse, claire et nette, ouverte et conçue autant pour le public que pour faire baver les critiques et l’industrie, une ligne démocratique et audacieuse, qui sera donc dès lors capable de faire de Montréal un véritable lieu de cinéma. Quelle que soit cette ligne. Sundance existe pour révéler le Next big thing. Annecy pour l’animation. Locarno pour l’avant-garde. Stitges pour le fantastique. Et Montréal, si elle se donnait les moyens, pourrait exister pour ce qu’elle voudrait.

Tant que les forces s’unissent, et non se divisent. Tant qu’elles puissent faire de notre ville une vitrine de cinéma incontournable, et non un éparpillement de 1001 morceaux.

Bon festival(s).


17 septembre 2015