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Éditos

FFM, dernière?

par Helen Faradji

Depuis le temps qu’on le voit venir. Depuis le temps que chaque année, depuis au moins cinq ans, probablement plus, c’est la même rengaine : « il est temps que ça cesse, le Festival des Films du Monde n’est plus que l’ombre de lui-même, on ne tire peut-être pas sur une ambulance, mais parfois, mieux vaut achever un cheval blessé ».

Il y a, évidemment, toujours quelque chose de triste à voir une partie importante de la vie culturelle d’une ville s’écrouler. Surtout à le voir comme on observerait un accident fatal au ralenti. Mais ce n’est pas sur la nostalgie qu’on bâtit un avenir. Ce ne sont pas les souvenirs, certes vifs, d’une gloire passée (fut un temps où, dans les salles du FFM, on pouvait croiser un tout jeune James Gray venu là présenter son second The Yards), qui font avancer.

Du 21 août au 1er septembre prochain, la 38e édition du FFM aura bel et bien lieu. Elle s’ouvrira même avec Salaud, on t’aime de Claude Lelouch, déjà un signe flagrant que tout est pourri au royaume de la rue de Bleury. Et s’il n’y avait que ça… Cette année, pour la première fois, l’ampleur des dégâts est mesurable. Deux millions et demi de dollars de dette, la mise en hypothèque du cinéma Impérial, avant peut-être de devoir le vendre, la perte de subventions publiques (la ville de Montréal a par exemple annulé la sienne jugeant l’investissement trop à risque) et de commandites privées… le FFM ne donne même plus l’illusion d’être un panier percé, il n’est plus qu’un trou entouré de quelques brins d’osier.

À bien y regarder, les questions financières importent pourtant assez peu. Car que le FFM soit, dans les faits, sauvé cette année ou pas, qu’il existe par la peau des fesses comme il existe maintenant depuis tant d’années, ne doit pas occulter le réel questionnement que cette débandade soulève : collectivement, voulons-nous sauver le FFM, et surtout, pourquoi le voudrions-nous ?

L’un des principaux problèmes de cette triste histoire, parfaitement incarné par un article récent de Nathalie Petrowski sur le sujet se portant à sa défense (“Le président du FFM et sa fidèle alliée Danièle Cauchard n’ont pas su s’adapter aux bouleversements de la mondialisation, sans doute parce qu’ils étaient de la vieille école et n’avaient pas compris que le cinéma et les festivals étaient devenus une business. N’empêche. Ils ont tenu ce festival à bout de bras pendant 38 ans, sans compter leur temps ni économiser leur énergie, avec 10 fois moins de moyens que le Festival du film de Toronto, grassement subventionné pour nous vendre du cinéma américain”, peut-on y lire), reste la confusion, entretenue en toute conscience par le principal intéressé, entre l’événement et son président, Serge Losique. Le FFM, c’est lui, lui, c’est le FFM.

N’hésitant jamais à crier au complot (mais qui, cher monsieur Losique, qui pourrait bien vouloir la peau du moribond FFM ?), le tenace et déterminé homme à la casquette n’a en effet jamais cessé de personnaliser le débat. Ne jamais réellement défendre la programmation du festival (sauf pour en dire qu’elle compte plus de 3652 films, de tous les pays, ce qui, il faut bien le dire, fait une belle jambe à tout le monde), mais toujours se positionner, en victime ou en héros, selon les déboires du moment pour mieux instaurer un étrange chantage à l’émotion publique dont pourtant personne n’est dupe… Voilà la stratégie déployée depuis trop d’années pour défendre un événement qui n’est plus à faire ni à défaire.

Car – et poser la question, c’est y répondre – qui, au juste, serait contre l’idée que Montréal ait, comme Toronto, Berlin, Venise ou Cannes, un grand festival de cinéma nourrissant avec ferveur les appétits les plus cinéphiles comme ceux les plus ouverts ? Qui serait contre l’idée que la fin août devienne à Montréal le temps d’une grande fête du cinéma, joyeuse et débridée, qui ne viendrait pas empiéter sur les terrains plus spécialisés de Fantasia et du Festival du Nouveau Cinéma qui l’encadrent ? Lors de la création en 2005, le Festival International de Films de Montréal avait tenté d’incarner ces volontés. Ce avait été un échec. La collaboration n’y était pas. Mais plutôt que d’en tirer les leçons, Serge Losique a continué son petit bonhomme de chemin, préférant faire comme de rien n’était, préférant surtout continuer à incarner, seul, sans former de successeur, sans s’entourer d’une équipe capable de défendre et d’assurer les arrières de son festival, et perpétuant l’idée fausse – et dont on paye aujourd’hui le prix – qu’un festival, ça se bâtit sur des coups de gueule et d’éclats dans la presse, pas sur ses films.

Mais le chevalier blanc, seul, sans peur et sans reproche n’existe que dans les contes de fées. Et il sera bientôt temps – ça l’est depuis longtemps – que le FFM, s’il veut véritablement survivre, réalise que les films et le cinéma sont plus importants que ceux qui les programment.

Bon festival


10 juillet 2014