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Éditos

Gazouille, gazouille

par Helen Faradji

C’est la faute de Twitter ! Le coupable a été trouvé ! Méchant petit oiseau bleu qui a empêché le beau, le bon et le pur. Méchants gazouillis qui ont assassiné sur place le grand festival de Cannes, sa sélection officielle et l’esprit même de cette profession intimement liée au destin du festival : la critique de cinéma. C’est  en tout cas ainsi que Thierry Frémaux, délégué général dudit festival, a analysé « l’échec » (en tout cas, la réception médiatique pour le moins froide) de cette édition 2015 en se confiant au Film Français, entrevue notamment reprise par Screen Daily cette semaine, impression qu’avait par ailleurs aussi confirmée Pierre Lescure, tout nouveau directeur du Festival qui, lors d’une entrevue à La Croix, affirmait : « Tout s’accélère. L’instantanéité aboutit à des jugements hâtifs, excessifs, définitifs. Les critiques tweetent pendant les projections. La nature et la fonction de ce métier sont en train de changer. En agissant ainsi, je ne suis pas sûr que la profession se fasse du bien ».

« C’était le premier vrai ‘festival Twitter’ », a ainsi noté Frémaux, ajoutant que tout le monde s’était servi du réseau social pour « dire tout ce qui leur passait par la tête (…) Faire de la critique, c’est exercer et poser une pensée, ça ne se résume pas à 140 signes écrits à la fin du générique. À Cannes, pas sûr que les réseaux sociaux fassent du bien à l’esprit général. ». L’impulsivité du critique soumis à la pression festivalière aurait donc tristement trouvé de quoi s’exprimer encore plus dangereusement en gazouillis, la réflexion, la profondeur d’analyse, le recul ayant, eux, pris le bord, ce qui expliquerait pourquoi cette année aurait été si terne.

Pourtant, il semble ici que ce soit aussi la nuance qui ait pris le bord. À bien y regarder, si la plupart des critiques de cinéma s’expriment effectivement sur Twitter, rares pour ne pas dire inexistants sont ceux qui y écrivent des « critiques ». En général, on y retrouve trois cas de figures. Le premier, le plus usuel, résumable à « regardez, regardez, j’ai écrit cela », est celui dans lequel le critique, comme la plupart des journalistes, se sert de Twitter comme d’un relais pour faire la promotion de son article, le linkant pour bêtement attirer l’attention du merveilleux monde virtuel sur le simple fait qu’il existe. Le second, déjà plus intéressant, est celui dans lequel le réseau devient le théâtre d’un service après-vente où la discussion autour d’une idée ou d’un texte peut se poursuivre. Ainsi, cette semaine, suite à sa critique du film Entourage, Peter Travers de Rolling Stone a invectivé sur Twitter les critiques outrés par le film : « To irked film critics appalled at the ignorant, horny, soulless, male narcissists of ‘Entourage’: Hello, it’s Hollywood, not Tomorrowland. », ce à quoi A.O. Scott, du New York Times a répondu avec un uppercut du droit : « Hello, @petertravers it’s film criticism, not « it is what it is. » ». 140 caractères pour permettre de construire, petit à petit, un véritable échange entre les critiques eux-mêmes et avec les lecteurs et les oeuvres, obligeant du même coup à repenser et redéfinir ce que ce métier est, ce qu’il peut et doit, ne l’annihilant pas  mais au contraire permettant d’en prolonger l’exercice… difficile devant de telles possibilités de donner raison à Lescure et Frémaux.

Le troisième – et plus rare – cas de figure est celui où le critique, excité par l’œuvre qu’il vient de voir, utilise Twitter à la sortie même de la salle (voire avant…) comme un déversoir à pensée immédiate et à sensation (un geste encore exacerbé lorsque le critique est en festival). Comme, finalement, n’importe quel autre spectateur. Certes, le critique professionnel garde à ce moment son titre, mais personne n’oserait prétendre qu’il s’agit là de critique. Le « Prodigies don’t get much more prodigious than this » lancé par Peter Bradshaw du Guardian sur Twitter quelques minutes après la première mondiale de Mommy au festival de Cannes 2014 n’avait leurré personne. Ces quelques caractères n’étaient bien évidemment qu’un apéritif, un prélude immédiat et sensitif au véritable texte critique qui lui a demandé plus de temps pour être écrit. Comme il y a les teasers et les bandes-annonces pour les films, il y a les réactions instinctives des critiques sur Twitter. À la différence que ces dernières sont encore libres d’échapper aux lois du marketing et n’ont pas à se plier à un impératif de positivité. Twitter n’a bien sûr que peu à voir avec la pensée critique telle qu’on l’entend. Mais comme poteau indicateur et garant d’une certaine liberté de penser, son utilité semble difficilement contestable.

Bon cinéma et bonne critique.

 


11 juin 2015