Éditos

Happy End demandé

par Helen Faradji

Montreuil… La ville de Seine Saint-Denis, près de Paris, fait forcément résonner de beaux souvenirs cinéphiles. C’est là que naissait Émile Reynaud en 1844, futur inventeur du praxinoscope sans lequel le monde de l’animation ne serait probablement pas ce qu’il est. Là surtout que le mage Méliès installa au début de l’ancien siècle, sous d’immenses verrières, le premier studio de cinéma au monde où, fantaisie aidant, il créa de délirants effets spéciaux faisant entrer le cinéma dans l’ère de la magie. Et là enfin que Charles Pathé installera quelques années plus tard un second studio, puis la première maison de production au monde. Une ville de mémoire, donc, témoin d’une activité plus que nécessaire au cinéma, essentielle.

Mais un lieu où se joue aussi aujourd’hui une bataille particulièrement représentative d’un certain air du temps, celui qui oppose de façon de plus en plus marquée ceux pour qui le cinéma n’est qu’affaire d’industrie et de gros sous et ceux pour qui, les doux rêveurs, les ambitions artistiques doivent encore déterminer les chemins à prendre. Celle qui oppose l’équipe du bien-nommé cinéma Méliès de Montreuil, une salle d’art et d’essai aux pratiques aussi vivantes que dynamiques tant en termes de programmation que d’organisation de rencontres (depuis plusieurs années, Agnès Varda, Michael Cimino, Tsai Ming-Liang, Hong-Sang-soo, Laurent Cantet, Audiard, Doillon ou Solondz sont venus y discuter avec leur public) en grève depuis presque un mois et l’équipe de direction municipale.

C’est une lettre ouverte publiée au cours de la dernière semaine dans le quotidien Libération sous la plume des membres-cinéastes du conseil du cinéma, Sólveig Anspach, Dominique Cabrera, Robert Guédiguian et Dominik Moll et co-signée par Mathieu Amalric, Bertrand Bonello, Laurent Cantet, Arnaud Desplechin, Valérie Donzelli, Pascale Ferran, Agnès Jaoui, Nicolas Philibert, Bruno Podalydès ou Bertrand Tavernier qui en révélait la teneur.

Tout commence en 2006, alors que le cinéma, créé en 1971, met sur la table un ambitieux projet d’expansion de ses activités : passer de trois à six écrans afin non seulement de diversifier ses choix éditoriaux de programmation mais également de permettre aux films d’y trouver refuge plus longtemps que les quelques maigres semaines d’occupation auquel le rythme effréné de distribution a condamné les œuvres de nos jours. Un projet évidemment louable mais qui immédiatement s’attire les foudres de deux immenses groupes d’exploitation, UGC et MK2, qui dénoncent « un abus de position dominante » et « une concurrence déloyale ». Ou comment l’hôpital se fout de la charité, dans les grandes lignes.

Mais le Méliès, soutenu par une communauté déterminée, finit par réussir à faire enterrer la hache de guerre… pour un temps. Car en 2008, la mairesse nouvellement élue Dominique Voynet (la mairie subventionne le cinéma à hauteur de 250 000 euros par an) remet en cause elle aussi le projet jusqu’à finir par porter plainte contre l’équipe du cinéma (une plainte qui a déclenché la fameuse grève de l’équipe de la salle) pour « détournement de fonds » prenant prétexte de l’existence nébuleuse d’une soi-disant caisse noire et d’un système de double billetterie. Une situation ubuesque dénoncée donc par les artistes et artisans eux-mêmes qui, noir sur blanc, n’ont pas hésité à dénoncer ces pratiques étranges en notant : « L’aveuglement de la mairie de Montreuil aboutit à un immense gâchis et désespère tous ceux, spectateurs et cinéastes, qui croient encore que le cinéma n’est pas une marchandise comme les autres ; qu’une salle défendue avec ferveur par une équipe entière est une sorte de bien public que rien ne devrait pouvoir mettre à mal »

Samedi dernier avait lieu, à Montreuil, une manifestation en soutien à l’équipe du cinéma. On y a notamment rappelé ces propos tenus par Mme Voynet dans Le Monde en juin dernier où elle dénonçait la programmation du cinéma jugée « bobo et trop élitiste ». Plus ça change, plus c’est pareil….

Véritable fraude ? Combat purement électoraliste ? Egos surchauffés ? Une chose reste sûre dans cette affaire : c’est le cinéma et ses défenseurs qui y sont pris en otages. Ce qui mérite en effet le combat le plus acharné du monde.

Bon cinéma et bon courage

Helen Faradji


21 février 2013