Histoire(s) d’horreur
par Helen Faradji
L’Halloween est à nos portes et comme toujours, le temps semble idéal pour jouer à se faire peur. Sauf que, contrairement aux bonnes histoires de frousse, celles qui ont occupé notre semaine n’ont absolument rien d’inventé, et absolument tout d’angoissant. Bienvenue dans le lent et douloureux processus de décomposition du merveilleux monde du cinéma en 1001 histoires.
Ainsi, par communiqué et campagne sur les réseaux sociaux, l’Excentris annonçait le lancement d’une campagne de sociofinancement visant à « lui donner les moyens de poursuivre sa mission culturelle pour la prochaine année » et à récolter 10 000$ d’ici le 20 décembre prochain. Oui, nous en sommes là. L’Excentris, salle-symbole de ce qui reste d’âme cinéphilie à Montréal, fleuron de la diffusion et de la promotion d’une certaine idée du cinéma, lieu d’innovation aussi (leur initiative de transformer leur site web en salle virtuelle de visionnement de leurs films, au-delà des petites frontières du boulevard St-Laurent, est plus qu’à souligner) est en danger. Pas un petit danger pour se faire légèrement frissonner et doper l’adrénaline le temps d’une annonce, non, un vrai danger, de ceux qui menacent réellement et qui forcent l’institution à de tels recours et qu’on espère sincèrement voir se dégonfler, non pas à coups d’aides ponctuelles, mais de façon structurelle et permanente.
Plus loin de nous géographiquement, peut-être, mais pas humainement, la peur encore, avec cette annonce cette semaine de la condamnation par un tribunal du Caire à trois ans de prison de Sanaa Seif, monteur du documentaire The Square (récit heurté et spectaculaire des grandes manifestations de la place Tahrir entre 2011 et 2013 présenté en ouverture des Rencontres Internationales du Documentaire l’année dernière). Sa faute, et celle des 20 autres activistes condamnés avec lui ? Avoir manifesté contre les nouvelles lois anti-manifestations égyptiennes qui imposent que tout rassemblement politique soit préalablement approuvé par les autorités… L’ironie serait appréciable si elle n’était pas aussi tragique.
La peur, toujours elle, celle qui s’insinue et paralyse, celle qui fait craindre plus qu’un petit séisme, mais la fin d’un monde, a aussi montré son vrai visage au Portugal. Il y a quelques semaines à peine, Pedro Costa était de passage ici, au Festival du Nouveau Cinéma, et une rétrospective de ses oeuvres permettait de voir comment le cinéma pouvait, avec une ténacité folle, redéfinir autant poétiquement que politiquement le visage de Lisbonne et de ses quartiers les moins filmés. Mais impossible, au vu des dernières nouvelles de là-bas, de ne pas songer que peut-être, bientôt, il n’y aura plus là-bas de cinéma pour filmer tout cela… Le jeudi 23 octobre dernier, alors que se déroulait une projection festivalière, la codirectrice du festival DocLisboa est montée sur scène afin d’annoncer, par une lettre lue au nom de plusieurs intervenants indépendants majeurs de l’industrie du cinéma portugaise, la démission de ces derniers (parmi lesquels l’Association des réalisateurs représentant notamment Miguel Gomes ou Joao Pedro Rodrigues) de la SECA, organisme les représentant notamment dans les négociations auprès de la commission chargée de répartir les aides publiques aux films pour 2015. Le problème selon eux ? Ladite commission est noyautée depuis un an par des membres de plus en plus nombreux des chaînes de télévisions et des opérateurs de télécommunications, issus du privé, et qu’on imagine aisément bien moins déterminés à financer un cinéma « lamentard ». Et comme l’avouait la directrice de l’association des réalisateurs, Margarida Gil : « Si le système continue de fonctionner comme cela, le cinéma portugais va tout simplement mourir ».
Halloween est à nos portes, et la peur n’a effectivement jamais été aussi vive.
Bon cinéma pour ce qu’il en reste.
30 octobre 2014