Hystérie
par Helen Faradji
Vendredi 28 novembre, fin de matinée. Comme tous les vendredis, de très beaux films et de moins beaux films prennent l’affiche. Mais tous, sans exception, se font éclipser. Car l’engouement du jour n’a qu’un seul et unique objet : le teaser de la bande-annonce à venir du prochain épisode de Star Wars, The Force Awakens qui devrait prendre l’affiche le 18 décembre 2015. Plus d’un an en avance, 88 secondes pour attiser l’excitation mondiale et voilà J.J. Abrams, nouveau chef aux manettes d’une des franchises les plus lucratives et importantes de l’histoire du cinéma – une de celles, faut-il le rappeler, qui changea à tout jamais la production et le marketing des films en « inventant » le blockbuster moderne -, propulsé au rang de sauveur de l’industrie.
Car oui, ledit teaser a bel et bien enthousiasmé. De nouveaux robots aussi adorables que R2, le Millenium Falcon en star intergalactique dont des millions de fans ont applaudi le retour par des cris de joie ultra-sonores, même virtuellement, la musique au rythme plus sourd et pesant de John Williams, des centaines de questions en suspens (John Boyega, révélé par le formidablement subversif Attack the Block sera-t-il un méchant ou un gentil Stormtrooper? Qui est ce grand méchant tout noir au sabre laser revampé? À qui appartient la voix, la fameuse voix, narrant le tout d’un ton sinistre, etc…) : la Force est assurément revenue du bon côté.
Mais comme Yoda l’a toujours enseigné, au-delà du plaisir immédiat, il nous faut regarder. Comme l’a notamment fait l’indispensable Eric Kohn d’Indiewire ayant publié une poignée de minutes seulement après le grand dévoilement un article détaillant les trois grandes leçons sur la culture cinématographique contemporaine que peut nous apprendre ce teaser.
D’abord, que les studios ne nous vendent plus d’histoires, l’annonce se contentant en effet de capitaliser sur quelques éléments iconiques, sans rien véritablement « raconter ». Ensuite, que le vrai cœur de cible de cette campagne est la communauté plus qu’étendue de fans de Star Wars, puisque les quelques secondes montrées, en choisissant ainsi de mettre l’accent sur les attributs les plus reconnaissables et intangibles de la série, évitent de rentrer dans les détails (et de prendre ainsi le risque de les décevoir). Enfin que les effets spéciaux, dans notre industrie modernisée, ne suffisent plus puisque, même en choisissant de ne pas développer une idée de récit, ce nouveau Star Wars ne semble pas (en 88 secondes!) tout miser sur ses prouesses technologiques, reposant principalement sur des effets de montage (celui de peur et de surprise au début est d’une efficacité redoutable) et une certaine idée de la science-fiction « à l’ancienne ».
88 secondes pour dire l’état de notre monde cinéma, ses ambivalences, ses espoirs, ses failles… Tout est possible dans le merveilleux monde du cinéma. À ce que note très justement Kohn, on se permettra même d’ajouter trois autres éléments.
D’abord, que la théorie de l’auteur, notamment pour ces grosses machines, semble avoir définitivement cédé le pas devant la puissance de la marque. Car ce qui compte après avoir vu ce teaser, ce n’est pas tant que J.J. Abrams soit l’auteur de cette nouvelle mouture (ce qui, au moment de l’annonce de la revitalisation de Star Wars était pourtant d’une importance capitale aux yeux des fans) mais que la marque Star Wars soit à nouveau cet étendard que tous vont suivre les yeux presque fermés. Au contraire, par exemple de la saga des James Bond qui, elle, s’est principalement réinventée en encourageant la mise de l’avant de la personnalité de son auteur, de ses thèmes chéris et de son style reconnaissable. Ensuite, que ces quelques secondes diffusées sur internet sont paradoxalement un plaidoyer pour le grand écran, seul visiblement capable de rendre justice au gigantisme demandé par ces quelques effets déployés. Car comme l’avaient professé les vrais papas de la bête, Steven Spielberg et George Lucas, la salle de cinéma sera bel et bien cet endroit particulier où le grand spectacle pourra se déployer à sa juste valeur (et tant pis pour les autres…). Enfin, qu’au royaume du marketing, le vrai roi s’appelle le temps et non le dollar. Car ce qui frappe aussi dans ce teaser aux ressorts relativement simples, ce n’est pas un étalage ostentatoire d’explosions ou de démesures, mais bien le fait que ces images soient dévoilées avec plus d’un an d’avance, assurant déjà que 2015 sera bel et bien envahie par une promotion dont nous n’avons pas fini d’entendre parler.
Star Wars, you’re our only hope? Ou un signe plus qu’emblématique de ces temps nouveaux où le cinéma est bel et bien en train de se transformer…
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À signaler durant la fin de semaine à venir à Montréal, la présentation au cœur de la foisonnante programmation des 13e Sommets du cinéma d’animation (3-7 décembre), entre autres, de la rétrospective consacrée au cinéaste d’animation britannique Robert Morgan, auteur notamment de l’incroyable Bobby Yeah, petite merveille de fantastique étrange et animé, sanglante et sombre, de 23 minutes. L’homme sera d’ailleurs présent le vendredi 5 décembre à 21h à la salle Claude-Jutra de la Cinémathèque, histoire de prouver une bonne fois pour toutes que l’animation, c’est bien aussi une affaire de grands.
Tous les détails sur Les Sommets de l’animation.
Bon cinéma!
4 décembre 2014