Il faut sauver le cinéma québécois?
par Helen Faradji
Vendredi dernier, sous la plume d’Odile Tremblay dans Le Devoir, on en apprenait enfin plus sur ce fameux groupe de travail, créé dans le climat hystérique (« la crise, la crise, la crise! », semblait-on crier comme des poules sans tête égarées sur les toits, il y a à peine quelques mois) ayant secoué le petit milieu du cinéma québécois après les déclarations de l’ineffable Vincent Guzzo sur notre cinéma « lamentard » incapable de se sortir le nez de ses propres pleurnicheries et d’attirer le chaland, comme n’importe quelle savonnette usinée.
Depuis, Gabrielle et ses joues rosies par le plaisir d’avoir inventé son chemin aussi inoffensif qu’universel et Louis Cyr, patron incontesté et tout en muscles identitaires de ce qui nous a servi d’été cinéma ont quelque peu changé la donne, appâtant juste ce qu’il faut de gentils spectateurs pour ne pas plonger le milieu entier en pleine dépression.
Mais les groupes de travail étant ce qu’ils sont, c’est des mois après sa création, en février dernier sous les bons auspices du ministère de la Culture et des Communications de la SODEC, que quelques-unes de ses réflexions et conclusions (développement, production et financement, l’aspect distribution étant remis à plus tard), nous parviennent, coulées qu’elles ont été au Devoir par crainte de se voir oubliées après l’annonce du départ de François Macerola de la présidence de la Sodec le 29 novembre prochain… Une utilité comme une autre des médias.
Au cœur de ces recommandations, un mot se fait plus retentissant que les autres : « plus ». Plus de scénaristes, par exemple, avec cette étrange recommandation de mieux encadrer les scénaristes de cinéma, comme le sont ceux oeuvrant en télé, par la mise en place « d’équipes de création » qui pourraient éventuellement apporter leurs bons conseils tout au long de la production d’un film. Bien sûr, nous savions déjà que la notion d’auteur n’était plus de ces caps qui aident à surmonter la tempête. De là à la dézinguer encore davantage, il n’y avait qu’un pas (que le rapport va d’ailleurs lui-même contredire en affirmant plus tard l’importance de soutenir les réalisateurs sur la durée, la constatation qu’entre 2005 et 2012, 83 de nos cinéastes n’ont livré « qu’un » film en 7 ans l’ayant apparemment marqué). Mais, en suivant cette logique, nous attendons tous avec impatience le gif animé de la face que ferait un Xavier Dolan, par exemple, lorsque les institutions lui imposeront de « dénouer son impasse » en faisant plancher une équipe sur son scénario…
« Plus » comme dans plus d’argent, aussi. Le bon vieux nerf de la guerre. Plus de dollars dans la cagnotte de la Sodec, dont le groupe recommande qu’elle continue à financer une masse de 25 longs par année, pour que nos films puissent enfin, eux aussi, avoir accès à ce qui semble devenu un drôle de sacré Graal : le numérique et le 3D. Triste logique du temps : les derniers mois nous ont prouvé que les effets en tout genre avaient plus leur place sur les écrans de cinéma que la bonne vieille imagination.
Plus d’argent, donc, mais dans un contexte où l’enveloppe alloué aux ressources culturelles par nos chers gouvernements fond chaque année comme neige au soleil. Comment faire? Augmenter le recours au privé et trouver, par différentes formules de taxation (sur les billets de cinéma, sur les revenus bruts de distribution, des fournisseurs d’accès internet ou des « services de programmation par contournement », tels Netflix), pardi! Le genre de solution qui fera évidemment hurler au meurtre tantôt les salles, tantôt les distributeurs, tantôt les grands méchants loups d’internet, et qui, soyons en (presque) assurés, prendra quelques bonnes années avant de pouvoir être concrétisé.
Mais au milieu de ces propositions, en creux, reste un autre mot que, peut-être, le rapport sur la distribution fera surgir : « moins ». Car à force de toujours vouloir plus, à force de faire de l’avidité un moteur, ne risque-t-on pas d’en réalité accentuer le problème? Celui de l’engorgement absolu des salles de cinéma? On rappellera ici qu’on ne peut décemment pas s’attendre à ce qu’un être humain normalement constitué aille voir 10 nouveautés par semaine (comme ce vendredi 25, en plus d’un autre sortant lundi et d’une autre mercredi, et de 9 autres sortant le vendredi suivant et de 9 autres encore sortant la semaine suivante…). Mais surtout qu’à force de faire des salles des mouroirs à films (comment espérer qu’un film, surtout fragile ou différent, tienne l’affiche plus de deux semaines au milieu d’un tel déferlement?), on oublie que le véritable débat, pourtant en forme d’éléphant dans la pièce, n’est absolument pas celui de la quantité. Mais bien celui de la qualité.
Bon cinéma.
24 octobre 2013