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Éditos

La dérive d’Harvey

par Helen Faradji

Il suffit de lire l’indispensable Down and Dirty Pictures, récit de « l’aventure » du jeune cinéma indépendant américain de la fin des années 80 au début des années 2000 par le journaliste Peter Biskind, pour comprendre l’influence plus que majeure que Bob et Harvey Weinstein, fiers patrons à l’époque de la sémillante compagnie Miramax, eurent sur toute une génération de cinéastes (Tarantino, Smith, Rodriguez, Solondz, O. Russell, Gray, DiCillo, Payne…). Mais aussi, et surtout, comment, par leur comportement tyrannique et leurs méthodes expéditives, ils osèrent une équivalence qui propulsa autant qu’elle ruina cette « nouvelle vague : promouvoir et accompagner les films indépendants exactement comme des blockbusters, avec la même force de frappe, la même ambition, les mêmes raccourcis néfastes. Et bien sûr, les mêmes coupes sinistres dans les films eux-mêmes, ceci ayant notamment valu à l’ogre Harvey le délicieux surnom d’Harvey Scissorhands.

Miramax vendue à Disney où elle ne connut pas un sort heureux, les deux frères créèrent The Weinstein Company où leur recette (traumatiser les films autant que leurs auteurs, terroriser les autres) continua a porter ses fruits. Il suffit d’organiser un jeu à boire lors des soirées d’Oscars (un verre à chaque mention d’un Weinstein) pour le réaliser et connaître rapidement l’ivresse.

Mais voilà qu’au cours des dernières semaines, Harvey Weinstein semble avoir pris un chemin de traverse qui pourrait bien s’avérer sans issue. D’abord, en déclarant à qui voulait bien l’entendre, et la main sur le cœur, que la violence et lui, c’était fini, jurant que jamais, ô plus jamais, il ne mettrait les pattes dans un film qui glorifierait les coups, le sang, les armes. En cause, selon lui, l’hypocrisie dont il ferait preuve en persistant à accompagner de tels films (il veut pouvoir faire des films que ses enfants regarderaient) et l’habitude malsaine que la représentation de la violence au cinéma engendrerait dans la vraie vie. Soit. À la nuance près que quelques jours après cette déclaration, nous apprenions du même souffle que Quentin Tarantino, poulain historique de l’écurie Weinstein (à qui il fit gagner nombre de trophées et dont il assura sa place sur l’échiquier avec ses films, évidemment, violents) renonçait à réaliser son prochain film, un western, dont le scénario s’est retrouvé sur le net.

Si l’une et l’autre de ces déclarations ne sont probablement pas liées, une autre annonce jetait un éclairage étrange sur la crise de la « petite » entreprise Weinstein. En fin de semaine dernière, le festival de Cannes annonçait en effet qu’il s’ouvrirait en mai prochain avec les flonflons royaux de Grace of Monaco, biopic de l’actrice devenue princesse, signé Olivier Dahan. Un film produit par les Weinstein, qui jetèrent leur dévolu sur Dahan après le succès flamboyant de La Môme, mais qui, aux plus récentes nouvelles et après de nombreux reports, n’apparaissait plus sur le calendrier de sorties 2014 des deux frangins. En cause ? La bonne vieille méthode Weinstein consistant à déposséder un cinéaste de son film en l’obligeant à toutes sortes de remontages et de redéfinitions de son œuvre « pour plaire au public », méthode que Dahan n’hésitait pas, dans Libération au mois d’octobre dernier, à comparer à du chantage

Mais Cannes a tranché et, au-delà de la valeur du film que personne n’a évidemment encore vu sauf les pontes cannois, s’impose comme le sauveur de la version dahanienne, assurant du même coup aux plus puissants des puissants qu’en terre de cinéphilie, il y existe encore quelques règles contre lesquelles les comportements les plus terrifiants ne peuvent rien. Les films maudits, empêchés de sortie, entravés auront toujours Cannes…

Mais au-delà de ce sauvetage de dernière minute, les derniers agissements et propos de Weinstein laissent aussi poindre un espoir. Vain et fou, probablement, mais un espoir tout de même. Et si Tarantino lâchait les Weinstein, comme Cannes vient de le faire, pour – pourquoi pas – rejoindre l’écurie de Megan Ellison (productrice de Paul Thomas Anderson, Bennet Miller, Spike Jonze, Harmony Korine…) ? Et si le cinéma américain se réinventait hors de l’ombre de ces deux ogres qui firent autant de bien que de mal à cette génération 90’s ? Et si on se mettait à rêver à un cinéma qui n’en serait plus un de producteurs, façonné avec arrogance et cynisme, mais de collaborations, invitant la liberté absolue de création à la table des joueurs ? Si la chute de la maison Weinstein ouvrait ces portes, il n’y aurait aucune raison de ne pas s’en réjouir sincèrement.

 

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On en reparlera une fois les gagnants couronnés, mais l’absence de Sarah préfère la course de Chloé Robichaud, du Météore de François Delisle et des 4 Soldats de Robert Morin dans la course aux Jutra est aussi injustifiée qu’injustifiable.

 

Bon cinéma

 

 

 


30 janvier 2014