La reine du bal
par Helen Faradji
Ainsi donc, samedi dernier, Hugo Dumas, chroniqueur à La Presse, emboîtait le pas à Sophie Durocher pour dénoncer ces maudits prix Jutra, jamais en phase avec le « vrai public de vrai monde qui n’aime pas ça quand c’est plate et gris » et dont les nominations, ayant omis de consacrer Le Mirage de Ricardo Trogi ou Paul à Québec de François Bouvier, révéleraient un exercice « d’auto-sabotage », en ignorant le bon choix de la bonne plèbe et en plébiscitant des films que personne n’a vus aux « idées suicidaires, en noir et blanc et en gros plan ».
Une prise de position qui a certainement fait grincer des dents, et notamment celles de ses propres collègues, Marc Cassivi de la même Presse ayant tancé le chroniqueur télé sur Twitter et Marc-André Lussier ayant publié la veille un billet de blogue explicitant… exactement le contraire. On admirera la clarté de la ligne éditoriale, conçue au petit bonheur la chance, sans que M. Dumas n’ait visiblement pris la peine de lire son propre journal.
Mais passons. Comme on passera sur la présence pourtant plus que marquante de La passion d’Augustine de Léa Pool (là serait d’ailleurs le vrai débat, mais nous y reviendrons) au sein de ces nominations, grand succès de box-office en 2015 et qui contredit tout ce que ce cher Hugo Dumas essaie d’avancer. Passons, car cette chronique révèle quelque chose de bien plus profond. Quelque chose comme une parole de plus en plus décomplexée qui, depuis quelques mois, quelques années, s’exprime ouvertement, sans fards, sans se soucier de rigueur, de faire avancer les débats ou de simplement dépasser la triste et monomaniaque opinion. Politiquement, socialement, économiquement, culturellement, la parole publique est chaque jour un peu plus confisquée par des gérants d’estrade, surfant avec allégresse sur la vague du moment, leur populisme et leur démagogie leur servant de rames.
De l’autre côté, les « experts » sont devenus les snobs de service, têtes de turc à abattre qui incarnent cette intelligentsia donneuse de leçons et empêcheuse de déguster son pop-corn en paix devant la nouvelle crétinerie à la mode.
Et pourtant…
Et pourtant, à bien y réfléchir (oh, le vilain mot), où est-il, ce vrai snobisme ? Dans la parole de ceux qui persistent à trouver que Les Démons méritent sincèrement d’être vus ? Dans celle de ceux qui ont été tout sauf déprimés par Félix et Meira ? Ou dans celle de ceux qui écrivent « ça ne nous tente pas nécessairement d’avaler, de façon préventive, une poignée d’antidépresseurs avant de passer à la billetterie » ou qui préfèrent faire la moue, dans une émission culturelle, en répondant « oh non, pas encore un film sous-titré » à un co-animateur se réjouissant de la présence de Mustang au programme ?
Oui, où est le vrai snobisme ? Dans le fait de vouloir parfois faire un effort ou dans le rejet a priori de tout ce qui, sur le papier, ne fera pas les côtes d’écoute d’un show de La Poule ? Dans l’appel à la curiosité ou dans le sectarisme ? Dans l’autorisation que l’on se donne d’aimer tout autant aller voir Star Wars que Félix et Meira ou dans une catégorisation clivante entre ce qui est bon et populaire et ce qui est plate et intello ?
Le vrai snobisme, Monsieur Dumas, c’est bel et bien celui dont vous avez fait preuve dans votre papier. Car il en faut de la hauteur condescendante pour estimer qu’un film dont on n’a lu que le synopsis ne mérite pas sa place dans un gala. Il en faut, de l’aveuglement intolérant pour ne pas se rappeler qu’un gala vise d’abord et avant tout à récompenser l’excellence, pas la popularité. Et il faut ne pas avoir vu assez de films et de séries pour ne pas se rappeler que les reines du bal, contrairement à ceux qui gagnent les prix d’excellence, sont le plus souvent celles qui finissent à 28 ans, édentées, à vivoter au fin fond d’un trailer park.
4 février 2016