La revanche des petits
par Helen Faradji
Bien sûr, la lecture de la presse cinéma au sortir du week-end ne pouvait que confirmer ce que la sortie d’Avengers : Age of Ultron vendredi dernier laissait pressentir. Oui, la réunion des super-héros contre la destruction de la planète a bel et bien réussi son tour du chapeau en amassant 187,7 millions sur le territoire américain, et explosant la barrière du 600 millions ailleurs sur la planète. Cela n’étonnera personne : le produit était calibré pour, publicisé sous toutes les formes possibles et imaginables, vendu autant comme la suite du méga-succès du premier que comme le prequel des innombrables suites que Marvel lui apportera. La machine est huilée.
Mais se fier à ces chiffres et ce succès pour mesurer la vitalité autant que la viabilité du marché du cinéma en salles serait une erreur, évidemment. Et regarder ailleurs, là où les chiffres sont beaucoup moins rutilants et dénotent sans contredit une lente et pénible dégringolade, tout autant.
Pourtant, reste une avenue peu explorée, qu’Eric Kohn a arpentée dans un article récent sur Indiewire. Présent à la 3e édition du Stanley Film Festival au Colorado (ainsi nommé car il a lieu là où Stephen King aurait imaginé le récit de The Shining), le critique a en effet pu observer une réelle frénésie du public, le poussant à se précipiter dans les salles du festival où sont présentés les derniers et plus audacieux essais du cinéma de genre, et plus particulièrement d’horreur. Au menu : une vingtaine de longs, 6 rétro et une trentaine de courts, parmi lesquels The Nightmare, le nouveau film de Rodney Ascher (Room 237)
Bien sûr, l’effet festival joue ici, réunissant la communauté en un point précis à un moment défini, c’est évident. Mais comme le note Kohn, difficile de ne pas voir du macro dans ce micro. Car si le cinéma d’horreur – dans son acception la plus large – a toujours été du genre à savoir comment rejoindre son public (voir le succès croissant d’un festival comme Fantasia), ce dernier restait marginal, une tendance qui semblerait être sur le point de s’inverser. L’exemple d’It Follows, seconde réalisation de l’américain David Robert Mitchell en fait la belle preuve. Pour l’acheter après sa présentation remarquée à la Semaine de la Critique en 2014, la compagnie de distribution Radius-TWC a déboursé 550 000 dollars. Une somme rondelette, certes, mais bien minime au regard des plus de 14 millions que le film a pu ramasser après sa sortie en salles (les chiffres ne comptabilisent pas encore le nombre d’achats en VOD, mais sont assurément dus à une stratégie de distribution intelligente ayant consisté à augmenter le nombre de copies du film en circulation alors que les chiffres montaient – stratégie utilisée dans les années 80 par Paramount lorsqu’elle sortait Friday the 13th !).
Un jackpot que le président de cette compagnie, Tom Quinn (récompensé pour son action au Stanley Film Festival), avait déjà su toucher lorsque, au sein de la compagnie Magnolia Pictures, il avait présidé aux destins tout aussi fructueux de The Host ou de Let The Right One In. Autant de titres, souvent aidés par un bouche-à-oreille comme il ne semble plus s’en faire, qui ont aussi su construire une acceptabilité plus grande du genre dans la culture populaire « mainstream ». Non plus un plaisir à réserver aux initiés, mais un succès plus large, plus englobant, porté par les envies d’un nouveau public, souvent plus jeune, qui ne satisfait plus des traditionnels « films d’auteurs du milieu ». En gros, comme l’explique Quinn, une génération qui a grandi avec ces films d’horreur et de genre et qui, aujourd’hui, dans la trentaine, en reste particulièrement friand.
D’autres films sont en train de se démarquer de la même façon en suivant la même logique de distribution par plateformes – en particulier le formidable de maîtrise et d’intelligence Ex Machina, premier long d’Alex Garland (déjà à 8.3 millions de box-office aux États-Unis). Et il y a probablement là deux enseignements à tirer : d’abord que rien ne sert de courir, dans le merveilleux monde du cinéma, mieux vaut apprendre à sortir les films à temps et ensuite que, genre ou pas, les succès-surprises ne le sont jamais tant que ça. Car, comme nous l’a appris Hollywood, ce sont toujours les bons (films) qui gagnent à la fin.
7 mai 2015