L’amour, y’a qu’ça d’vrai
par Helen Faradji
Ceux qui s’étaient faufilés jusqu’à Cannes en avaient déjà donné quelques indices. Le panorama qu’en donne Cinémania, consacré comme toujours depuis 21 ans à nous offrir ce qui émane de plus vibrant de la production hexagonale, le confirme : le cru 2015 de cinéma français semble bel et bien placé sous le signe d’un palpitant toujours plus gonflé. De l’amour, encore de l’amour et toujours de l’amour pour une cinématographie qui, au fond – et en plus d’échapper à cette crise mondiale qui frappe autant les films que les salles et la critique -, en a toujours fait son pain et son beurre.
Mais l’amour, en 2015, selon les images qui en transparaissent, ne se vit assurément pas tranquillement. Le film d’ouverture, palme d’or de l’année, Dheepan de Jacques Audiard que l’on a connu plus subtil et plus puissant, donne ainsi le ton en suivant un couple créé pour les besoins de la cause (pouvoir immigrer du Sri Lanka en France), et dont les liens artificiels résisteront du mieux qu’ils peuvent dans une plongée en plein cœur de l’enfer des banlieues françaises. Tout aussi destructeur, l’amour entre un horripilant couple de bobos parisiens hystériques se décline en version « ongles qui crissent sur tableau noir » dans l’épreuve qu’est Mon Roi de Maïwenn dont l’on n’attendait pas plus. L’amour, c’est encore ce qui manque à l’incarnation de la rébellion qu’est le jeune garçon en pleine déconfiture filmé par Emmanuelle Bercot dans ce chant d’amour aux institutions de la République trop premier degré pour séduire qu’est La tête haute. Viennent encore l’amour littéralement interdit revu et corrigé façon carton-pâte par Valérie Donzelli qui fait rimer liaison entre frère et sœur et anachronisme tout sauf Demyesque dans Marguerite et Julien, l’amour oublié que le désert et la mort ne feront pas revivre malgré les croyances dans Valley of Love de Guillaume Nicloux ou l’amour-trahison sur fond de révolte communarde dans le sensuel et romanesque Les anarchistes d’Elie Wajeman, seule belle surprise de cette récolte cannoise de l’année.
Mais du côté des primeurs que va dévoiler Cinémania, c’est le même sentiment d’amours trop complexes pour rendre heureux qui prédomine. Ouvertement dangereux, par exemple, cet amour que porte un père (Mathieu Kassovitz) à ses enfants au point de les kidnapper et de les laisser vivre en toute liberté dans La vie sauvage de Cédric Kahn dont l’on attend encore le film qui ne nous fera pas regretter son Roberto Succo. Tout aussi ravageur cet amour qui peine à se dessiner avec la tendresse requise entre une mère et son fils dans Le dernier coup de marteau dans lequel Alix Delaporte (Angèle et Tony) retrouve peut-être l’épure âpre et rugueuse qui caractérise sa superbe mise en scène mais peine à remplir son récit. Rien de mieux à se mettre sous la dent – le malheureux amour de son métier – du côté de L’enquête de Vincent Garencq, récit des péripéties du journaliste Denis Robert au creux de l’affaire Clearstream, en forme de polar tout ce qu’il y a de générique. Secret et loufoque, mais souvent caricatural dans Je suis mort mais j’ai des amis des frères Malandrin, ou adultérin mais léger comme une bulle de savon dans À trois, on y va de Jérôme Bonnell (Le temps de l’aventure), l’amour, finalement, tel que montré dans les films mis de l’avant par Cinémania, semble refléter celui que l’on peut avoir pour ces derniers : l’envie et le désir y sont, mais la mise en pratique relève de l’épreuve.
Restent deux exceptions notables, heureusement, toutes deux liées l’une à l’autre d’ailleurs. L’ouverture, d’abord, de Cinémania au merveilleux monde des séries puisqu’y seront présentés les deux premiers épisodes de 10%, série française consacrée à l’envers du décor des stars puisque l’on y suit les péripéties de leurs agents. Si la cruauté qui caractérisait par exemple Platane, fantastique série-méta d’Éric Judor, manque, reste que l’on comprend le succès fou remporté par 10% en ses terres: amusante, tonique, elle fait du glamour de la vie des riches et célèbres une cible autant qu’un objet d’amour inconditionnel, comme dans la vraie vie. Une série qui consacre son deuxième épisode à la rivalité entre deux actrices à qui on ne la fait plus, Line Renaud et l’inoubliable Françoise Fabian, invitée d’honneur de Cinémania et qui sera donc là pour présenter, comme il se doit, un film où l’amour se décline dans toutes ses plus belles, libres et insolentes nuances : Ma nuit chez Maud, d’Éric Rohmer (samedi 7 novembre, 14h). Voilà bien une offre que l’on ne pourra pas vraiment refuser.
Vive l’amour et bon cinéma
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5 novembre 2015