Éditos

L’année des femmes

par Helen Faradji

Une semaine que le grand raout a commencé. Et impossible de ne pas s’en rendre compte. Tout ce qui a l’insigne honneur d’avoir été doté par la nature d’une paire de seins ou autre attribut du genre est bel et bien l’invité d’honneur de l’année.

Bien sûr, il y a d’abord l’affiche, ce doux visage d’Ingrid Bergman penché avec bienveillance sur tout ce qui grouille et grenouille sur la Croisette, et annonçait à sa façon la couleur. Il y a aussi eu le film d’ouverture, La tête haute, réalisé par Emmanuelle Bercot, une première à cette place depuis Diane Kurys en 1987 avec Un homme amoureux. Le film est manichéen ? Quelle importance. C’est une femme, rendez-vous compte, une femme qui l’a fait ! Même principe, a-t-on l’impression, pour l’horripilant jeu de « je t’aime, je t’aime plus, je ne t’aime plus » de Mon Roi de Maïwenn ou la romance incestueuse pré-fabriquée et chaotique Marguerite et Julien de Valérie Donzelli, pour ne pas parler de l’empâtée adaptation d’Amos Oz par Natalie Portman. Comme si être femme suffisait être le clou du spectacle… Il ne l’est, faut-il encore le rappeler, que si le cinéma est aussi rendez-vous, comme il l’est assurément dans Nahid, première réalisation de l’Iranienne Ida Panahandeh (Un certain Regard) aidant à mieux regarder cette femme empêchée de vivre une nouvelle histoire d’amour par des règles sociales iniques, ce dont son ex-mari profite bien.

Si la question est abordée d’un pur point de vue mathématique, oui, les femmes sont là, derrière la caméra, à Cannes et l’enjeu qu’elles deviennent (enfin !) une force économique digne de ce nom et reconnu est débattu comme il se doit. Mais sur la forme, lorsque c’est sur ce qui se passe sur les écrans que l’on pose le regard, force est de constater, n’en déplaise aux faiseurs d’opinions toutes faites, que c’est pourtant bien quasi-uniquement du côté des hommes que l’on a pu trouver cette tant espérée mise en valeur de la figure féminine.

Car si la compétition reste affadie cette année par son manque d’éclat généralisé et semble principalement se colorer aux teintes de la déception, reste qu’au milieu paraît néanmoins émerger des films les plus forts un même thème : celui de la femme et de sa liberté.

Liberté d’exister telle que l’on est, d’abord, traitée évidemment littéralement par le sublime, subversif et raffiné Carol de Todd Haynes transformant l’impériale Cate Blanchett en héroïne amoureuse, assumant avec une force et une vulnérabilité mêlées bouleversantes son désir pour une autre femme dans l’Amérique du début des années 50. Liberté encore de reconnaître que la vie, parfois, nous dépasse de tous bords tous côtés et que Nanni Moretti exprime dans son touchant Mia Madre à travers ce personnage de réalisatrice en panne d’elle-même, face à la mort de sa mère et son tournage désastreux, en offrant à Margherita Buy l’occasion de briller de tous ses feux touchants et vacillants. Liberté toujours, dans le Moutains May Depart de Jia Zhang-ke, où une femme, au cœur hésitant entre un mineur et un futur riche homme d’affaires en 1999, se retrouvera bien seule en 2014 avant d’être remplacée dans le cœur de son fils en 2025 par une femme plus âgée que lui, parcours gracieux et bouleversant sans cesse nourri par les questions chères à l’œuvre du réalisateur Chinois, à savoir comment être libre (d’aimer, de vivre, de préserver sa culture et ses traditions) dans un monde gouverné par les préoccupations économiques ? La réponse sera aussi belle qu’enlevante, au son du Go West des Pet Shop Boys.

Enfin, c’est aussi à la Quinzaine des Réalisateurs, que la liberté a pris le très joli visage de Fatima, dans le film éponyme de Philippe Faucon (une coproduction franco-canadienne), récit classique d’une mère-courage parlant quasi-exclusivement arabe et se saignant aux quatre veines pour élever ses deux filles, mais dont pas une scène n’est marquée de ce misérabilisme cliché venant généralement noyer ces portraits. Non, ici, c’est la douceur et l’intelligence qui prévalent, faisant de ce combat pour exister, de cet appel à une liberté intérieure, une lutte sans armes, émouvante et d’une évidente empathie.

Que les femmes puissent être aussi magnifiquement libres à l’écran, peu importe le sexe de celui ou celle qui le montre, est plus qu’encourageant : car c’est aussi ainsi, pour ne pas dire surtout, que les choses changent véritablement.

Bon cinéma.

 


21 mai 2015