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Éditos

L’apprentissage

par Helen Faradji

Spécial rentrée. Fournitures en tous genres. Bureau, sacs, stylos… Achetez ceci, cela et son contraire. Partout, dans les magasins fleurissent les annonces, coupant déjà court à ce bref été et préparant à cet automne qui arrive à grand pas. Et deux nouvelles, plus ou moins réjouissantes, parues dans les médias cette semaine rappellent qu’au milieu des maths, de la géo ou du français, le cinéma est aussi affaire d’apprentissage.

C’est d’abord Screen qui relatait la tristounette histoire de la London Film School. Une école professionnelle, équivalent britannique de notre Inis, où Mike Leigh, Michael Mann ou Duncan Jones, excusez du peu, ont déjà usé leurs fonds de culotte. Une école datant de 1960 aussi, qui pensait avoir le vent dans les voiles et avait tout mis en place, depuis 2013 ( !) pour se relocaliser en 2017 du côté du Barbican Centre, histoire de rénover et d’agrandir tout ce qui était possible de faire et ainsi de pouvoir devenir une école de cinéma toute neuve, toute belle, toute rayonnante.

Mais, comme trop souvent dans nos histoires contemporaines, la méchante crise est passée par là et le contexte économique a poussé les investisseurs privés (épine dorsale du projet situé, il ne faut pas l’oublier, en terres éminemment libérales) à retirer leurs billes. Résultats des courses : la London Film School n’a plus assez de sous pour pouvoir opérer ce déménagement et se retrouve le bec dans l’eau, incapable de se payer son beau projet de rêve (qui incluait une salle de cinéma de 130 places, deux studios d’enregistrements, sept salles de classes, quatre salles de conférences et tout ce qu’il fallait techniquement et humainement). Meilleure chance une prochaine fois, les étudiants.

De l’autre côté du spectre, là où les choses semblent plus légères, c’est David Bordwell qui racontait cette semaine encore sur son blogue son passage au Summer Film College d’Anvers en Belgique, événement fort singulier où des cinéphiles d’un peu partout sur la planète se retrouvent pour visionner des films de répertoire, restaurés ou en copies originales (38, pendant environ une semaine, du matin au soir). Lesdits films y sont regroupés selon des thèmes présentés et défendus par des cinéastes invités (cette année : les œuvres récentes de Godard et la carrière de Burt Lancaster) en plus de projections surprises et de discussions ou d’ateliers (14 au programme, chacun durant environ 1h30). Un fantasme de cinéphiles, donc, crée au départ pour les professeurs et étudiants mais ouvert à quiconque préférerait la douce pénombre des salles à l’horrible soleil aveuglant de l’été.

D’un côté, donc, une entreprise d’apprentissage forcée de revoir ses ambitieux plans d’expansion, de l’autre un camp d’été ayant peu à peu grossi pour devenir un véritable centre de formation et de consolidation de la communauté cinéphile. Et au milieu, ces grandes questions, probablement sans réponse : comment, et pourquoi, enseigner le cinéma ?

Le « pourquoi » est certainement plus aisé. Pour former des citoyens, évidemment. Car apprendre à regarder un film, comme apprendre à en faire un, participe certainement à apprendre à regarder le monde, tout simplement. S’initier au cinéma, mais aussi à l’art de façon plus générale, n’est pas un luxe pour sociétés privilégiées, mais bien au contraire un pas dans la bonne direction, celle qui peut mener à la constitution d’une société civile plus éclairée, mieux outillée pour comprendre ce qui l’entoure, donc plus libre. Ce qui est loin d’être négigleable, par les temps qui courent.

Le comment, comme le montrent les deux exemples de la semaine, est déjà plus complexe. Si l’idée d’un camp d’été cinéphile fait bien sûr rêver, elle reste par son principe même réservée à une poignée de gens qui d’abord y sont intéressés, mais ensuite peuvent se le permettre, tant financièrement que matériellement. Si celle d’une école de cinéma high tech est tout aussi mirobolante, elle soulève elle aussi les mêmes questions d’accessibilité et d’ouverture. Or, la notion d’apprentissage du cinéma, concret et théorique, pour être véritablement utile, doit nécessairement contenir dans son projet même une dimension démocratique : que l’école, tôt, très tôt, offre cet enseignement afin qu’ensuite il puisse inspirer des carrières ou simplement rester au fond de la tête comme un outil de plus pour mieux s’élever. Que des initiations au cinéma soient prévues dès le plus jeune âge simplement pour mieux éclairer le chemin à venir. Un vœu pieu, peut-être, mais un vœu qui, en ces temps de rentrée, et d’élections…, fait bel et bien rêver. Car tout le monde y gagnerait.

 

Bon cinéma, à tous, le plus tôt possible.

 

 

 


6 août 2015