Je m'abonne
Éditos

L’Artiste devenu économiste

par Helen Faradji

Ils sont les premiers concernés. Ceux-là mêmes qui se la prennent de plein fouet. Ceux-là mêmes qui savent bien que le modèle plus que centenaire du cinéma est en train de se craqueler de tous bords tous côtés. Mais ceux-là mêmes aussi qui, ardemment, passionnément, cherchent à dépasser le stade du simple constat pour envisager une possible mutation.

Eux, ce sont les cinéastes et au cours des dernières semaines, l’un d’entre eux, oscarisé et tout ce qu’il y a de respectable, a pris la plume dans Le Monde, excusez du peu pour mieux défendre son idée non pas d’une survie du cinéma – nous n’en sommes plus là -, mais de la possibilité d’une nouvelle vie. Voilà qui fait changement.

Michel Hazanavicius, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, a en effet délaissé son côté Artist pour endosser la casquette de l’économiste (le cinéaste est également président de la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) et livrer un démonstration aussi chiffrée que carrée. Comme tant d’autres avant lui, il considère en effet que le nerf de la guerre est tout bêtement le système si particulier de financement du cinéma français, celui envié par le monde, celui basé sur ce principe simple : « ceux qui diffusent les films doivent participer à leur financement en amont de la fabrication ». Or, c’est, aux yeux du cinéaste, ce principe même, tout intelligent qu’il soit, qui aujourd’hui montre ses limites et celles, plus générales, du fonctionnement même de l’industrie cinéma. D’abord, parce que l’idée de gagner de l’argent une fois le film fini et sorti en salles est certes bien plaisante, mais n’existe plus que dans un monde fantasmé. Ce qui aboutit à ce cercle vicieux : « Tous préfèrent gagner de l’argent en amont de la sortie, sur le financement et la fabrication même du film, puisque l’espoir d’en gagner dans la phase d’exploitation est quasi nul dans l’immense majorité des cas. Le jeu, pour certaines productions, devient d’une part de gonfler les devis pour récupérer le maximum d’argent pendant le financement, d’autre part de dépenser le minimum de cet argent pendant la fabrication – entraînant ainsi le sous-paiement des techniciens, la délocalisation, la fabrication au rabais, etc. –, et enfin de produire un maximum de films, quelle que soit la qualité des scénarios en cours… La qualité des films en fait souvent les frais« . Ensuite, parce que le système éprouvé n’avait évidemment pas anticipé l’importance qu’allait pouvoir prendre internet comme nouvel outil de diffusion des œuvres et que seule la télévision continue donc à endosser seule lesdits financements (au niveau européen, « l’hyperbienveillance fiscale dont bénéficient les géants du numérique n’engage pas en la matière à un optimisme démesuré » ajoute poliment Hazanavicius).

Pourtant, pour le cinéaste, si les solutions sont peut-être complexes, elles sont aussi bien réelles. Et claires. « Préserver (notre) service public de l’audiovisuel, garantir ses ressources, pour le laisser entrer dans l’ère numérique (…) ouvrir la réflexion sur la chronologie des médias, ce système de périodes d’exclusivité de diffusion pour chacun des financiers du cinéma. (…) Se remettre d’urgence autour de la table pour aborder le sujet si dérangeant de la remontée des recettes. (…) Imposer l’idée que nous aurions tous intérêt à ce que les ayants droit soient intéressés sur la recette brute. Partager équitablement la recette, c’est le seul moyen de rétablir la confiance, et ainsi de refaire baisser le coût des films. (…) Au niveau européen, il faut enfin réinventer une forme de régulation qui corresponde à l’ère économique et technologique que nous vivons. Et surtout l’imposer aux autorités bruxelloises. (…) Que Bruxelles réfléchisse enfin à une fiscalité de ces acteurs voraces qui s’épanouissent entre autres sur le lit de notre culture. Qu’elle favorise enfin ceux qui sont à l’origine des oeuvres, les créateurs. Que l’Europe décide enfin de protéger sa culture et qu’elle comprenne que celle-ci, en plus d’être une industrie qui emploie huit millions de personnes en Europe, a une influence positive sur bon nombre d’autres industries, de la gastronomie au tourisme, en passant par la mode, le design, l’urbanisme ou encore la presse. »

Plus qu’en artiste, c’est en véritable politique, au fait de ses dossiers pas si franco-français que ça, que Michel Hazanavicius s’est ici exprimé en persistant avec intelligence avec regarder demain avec un certain optimisme. Une approche certes réconfortante, mais qui ne fait aussi que rappeler justement l’indifférence et l’incapacité de la plupart des gouvernements mondiaux à saisir la réelle importance d’encourager et de soutenir une culture cinématographique saine et variée. Ah, si les films étaient des légumes…

Bon cinéma

Helen Faradji


9 mai 2013