Le bon voeu de la modestie
par Helen Faradji
Commençons donc par l’essentiel, à savoir vous (et nous) souhaiter, chers et sagaces lecteurs, la plus belle des années à venir. Qu’elle soit collective, solidaire et généreuse et qu’elle nous offre autant de raisons de vibrer de tous nos êtres devant et loin de nos écrans.
Mais il nous faut également revenir sur cette trêve de Noël qui n’a pourtant rien eu de pacifique. Ici, comme ailleurs, la terre a tremblé. Sous le poids de l’exil fiscal individualiste et grossier d’une ancienne gloire du septième art, par exemple. Sous celui des débats idiots autour de la violence tarantinienne et plus largement cinématographique, encore une fois ravivés après les projections du jouissif et décevant (oui, les deux peuvent cohabiter) Django Unchained. Comme s’il était encore une fois plus facile de trouver un coupable immatériel et aisément blâmable plutôt que d’enfin procéder à cet examen de conscience national et d’en tirer des conclusions cohérentes dont les Etats-Unis (et nous bientôt ?) ont plus que besoin. Sous celui encore du devoir de véracité historique que certains entendent imposer à tout prix aux uvres de fiction en hurlant au meurtre quand Zero Dark Thirty, par exemple, ne respecte pas exactement le déroulé des faits réels de la traque de Ben Laden (so what ?, comme on dit en bon javanais), mais qui se laissent aller le canal lacrymal devant Les Misérables même si ces derniers hachent menu l’uvre de Victor Hugo.
Mais surtout sous le poids de cette étonnante polémique née le 29 décembre de l’autre côté de l’Atlantique sous la plume assassine du distributeur et co-fondateur de la compagnie de distribution, de production et de vente Wild Bunch (du Garçu à Sin City, en passant par White Material ou The Grandmaster) Vincent Maraval qui publiait dans Le Monde la tribune au titre explicite : « Les acteurs français sont trop payés ! ». Un texte d’une précision rare dans lequel Maraval dénonçait, chiffres à l’appui et noms clairement identifiés, les rémunérations affolantes de plusieurs têtes d’affiche mais surtout, et de façon encore plus percutante, le fonctionnement même du système de financement public du cinéma français et la répartition des ressources publiques, selon lui injuste au regard de la profitabilité mal évaluée de certains mastodontes. Mieux encore, c’est une solution très claire que Maraval appelle en conclusion de ses vux : « Limitons à 400 000 euros par acteur – et peut-être un peu plus pour un réalisateur -, assorti d’un intéressement obligatoire sur le succès du film, le montant des cachets qui qualifient un film dans les obligations légales. »
Les problèmes dénoncés par Maraval qui amorce d’ailleurs son texte par cette sentence alarmiste : « l’année du cinéma français est un désastre » ne sont évidemment pas ceux de la seule cinématographie hexagonale. L’idée d’une circulation à deux vitesses des deniers peut en effet être conspuée dans tous les systèmes profitant d’un financement public de l’art. Comme ici, bien sûr.
Mais entre ici et là-bas, entre l’affaire lamentarde de Guzzo et celle de Maraval, deux différences notables sont tout de même à souligner. D’abord, celle du bon sens du distributeur français qui jamais, oh grand jamais, ne s’aventure dans son texte à évaluer artistiquement les films qu’il cite, se cantonnant à circonscrire le débat, dès lors non empoisonné par la bêtise, sur un terrain purement financier et s’en prenant, non pas aux « petits films d’auteurs que personne ne voit et qui drainent les ressources » mais au contraire à ces films-monstres qui engloutissent des sommes faramineuses sur des promesses cyniques de succès populaires rarement tenues. Ensuite, celle, beaucoup plus parlante, des réactions. À peine éditée, la chronique de Marival a en effet suscité un nombre record de répliques (que l’on peut lire par exemple ici ou ici), des plus fâchées (comme celle de Jérôme Clément) aux plus politico-pessimistes (« Dans le climat actuel de détestation des nantis, avec la gauche actuelle qui n’est pas du tout favorable au cinéma français, cette tribune pourrait avoir des effets très contre-productifs » dit par exemple la productrice Marie Masmonteil), en passant par les ardents défenseurs du texte (Pascale Ferran qui, déjà avec son Club des 13 en 2008 soulevait les mêmes questions, Olivier Assayas ou Bertrand Bonello qui avoue: « Pourquoi les Américains font-ils des films de dingue à 2 millions d’euros, alors que nous, on fait l’équivalent pour 4 millions d’euros, et en plus ça ne se voit pas » ?). Autant d’interactions qui placent le débat en plein là où il faut, c’est à dire au milieu de l’espace public, là où il aura peut-être la chance d’être vraiment entendu, là où il ne restera assurément pas lettre morte.
Voilà d’ailleurs l’un des vux, récurrent (mais ne désespérons pas, c’est mauvais pour le teint), que nous formons volontiers pour cette nouvelle année. Qu’ici aussi, enfin, nous ayons autant de tribunes et de lieux où parler véritablement de cinéma. Qu’ici aussi, enfin, le débat ne soit pas cette chose qui fait peur. Qu’ici aussi, enfin, le cinéma soit pris suffisamment au sérieux pour devenir une véritable affaire d’État.
Bon cinéma et bonne année !
Helen Faradji
10 janvier 2013