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Éditos

Le feuilleton de l’automne

par Helen Faradji

Ce sera assurément le feuilleton de l’automne. Tous les ingrédients sont d’ores et déjà réunis: une polémique qui dure depuis quelques années et qui constitue un terreau plus que fertile à une révolution (la polémique #Oscarsowhite), un posterboy parfait, propriétaire d’un petit poucet devenu grand et sur qui l’on compte déjà pour régler la question de la diversité à Hollywood (Nate Parker, réalisateur d’un film indépendant, Birth of a Nation, repéré à Sundance, défendu par Oprah Winfrey, Spike Lee et Ava DuVernay et acheté plus de 17 millions de dollars par Fox, contre Netflix qui en proposait pourtant 20) et un drame, atroce qui entrave le chemin du “héros”.

Ce drame, c’est celui que cette jeune femme a vécu en 1999. Nate Parker est alors l’université d’Etat de Pennsylvanie. Avec son coloc, Jean Celestin (nommé au générique de Birth of a Nation pour l’idée du film, celle de réduire en pièce la version de 1915 de D.W. Griffith en racontant cette fois comment, le 21 août 1831, Nat Turner – que Parker joue lui-même -, un esclave en Virginie va se révolter, et plusieurs autres avec lui), ils sont tous les deux accusés d’avoir agressé et violé cette femme, alors qu’elle était inconsciente. Celestin est condamné en première instance, fait appel mais le cas ne se poursuivra pas car la cour ne parvenait pas à retrouver les témoins. Parker, lui, qui avant l’agression, avait déjà eu une relation avec la jeune femme et se défend en clamant que les deux relations étaient consensuelles, est acquitté. La jeune femme dit alors que même après l’agression, les deux hommes l’ont harcelée et quitte rapidement l’université. Malheureusement, la semaine passée, l’on apprenait également qu’elle s’était enlevée la vie en 2012, à l’âge de 30 ans.

Le passé est le passé et il faut laisser l’humanité apprendre de ses erreurs pour être meilleure, certes. Mais alors que Birth of a Nation entame sa carrière américaine et se fait tout beau pour les Oscar (il devrait sortir le 7 octobre prochain dans plus de 1500 salles américaines, après une présentation au Festival de Toronto et une tournée des églises et universités organisée par Fox pour que Parker anime des débats sur la justice sociale), l’affaire colle aux baskets de Parker comme un vieux chewing-gum.

Les soupçons qui pèsent encore et toujours sur Woody Allen, l’accusation puis l’exil forcé de Roman Polanski, et maintenant, le trouble jeté sur Parker … À la petite différence que, contrairement à Allen et Polanski, Parker d’abord a été acquitté par une cour de justice mais aussi débute sa carrière. Et si les films américains sont fans des histoires de rédemption, gageons que celle-ci sera un petit peu plus compliquée à élaborer. On n’aimerait pas être dans les souliers des bonzes du département marketing et promotion de la Fox ces temps-ci.

Parce que le backlash n’a pas tardé. Sur Twitter, bien sûr, mais aussi dans la vraie vie. L’artiste de rue ultra-conservateur et raciste Sabo qui n’hésite pas à affirmer sur son site web « My aim as an artist is to be as dirty, ground level, and mean as any Liberal artist out there, more so if I can. Use their tactics, their methods, appeal to their audience, the young, urban , street urchins with a message they never hear in a style they own », a ainsi tapissé les rues de Los Angeles d’une version détournée du poster de Birth of a Nation. Originellement, celle-ci montre le personnage joué par Parker le cou entouré d’un nœud coulant fait avec le drapeau américain, surmontant le titre du film. Dans la version trafiquée, le poster lit désormais « Nate Parker, rapist ? »

Interrogé par le Hollywood Reporter, Sabo, en plein délire paranoïaque, a notamment affirmé que le poster original était extrêmement offensant et pouvait mener à des actes de violence anti-Blancs.

Des appels au boycott ont également déjà été lancés contre le film qui, tragique ironie du sort, contiendrait une scène-pivot : celle du viol de la femme de Turner par des Blancs. Et comme d’habitude, le film paiera au nom de l’homme. Ce qui, avouons-le, ne fera strictement rien avancer.

 

Bon cinéma


25 août 2016