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Éditos

Le marronnier

par Helen Faradji

Le sujet revient plus que régulièrement sur le tapis. Il n’y a pas assez de filles aux commandes dans le merveilleux monde du cinéma. Chaque année, la complainte se fait entendre, aux abords des Oscar (sur les 10 finalistes, combien seront en robe?), de Cannes (scandale, scandale, le mot « auteur » ne se décline pas au féminin), d’une étude prouvant par a+b, chiffres à l’appui, que si les filles sont bel et bien là au moment d’étudier, rares sont celles qui concrétisent l’essai par la suite ou bien encore lorsqu’une fille ose s’aventurer sur le terrain du film « viril » (Kathryn Bigelow s’en étant fait une spécialité, Angelina Jolie semblant suivre sa voie) alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de se demander s’il n’y a pas trop d’hommes derrière la caméra chaque fois qu’un Michael Bay ou un de ses confrères confond allègrement le grand écran avec la scène d’un concours de culturisme.

Le revoici, le revoilà donc, le sujet qui fâche, alors que sort en librairies (du moins celles qui restent) l’ouvrage collectif 40 ans de vues rêvées – l’imaginaire des cinéastes québécoises depuis 1972, occasion elle aussi rêvée pour la plupart des médias de ressortir le bon vieux marronnier. Pas assez de couettes, trop de casquettes, le plafond de verre ne se deverrerise pas et le cinéma québécois resterait encore une fois ce grand méchant loup aux allures de boys club où les filles ne s’aventurent que trop timidement pour pouvoir convaincre.

Pourtant, comme pour l’autre question qui agace, celle du succès du cinéma québécois, là encore, tout repose sur des chiffres. Les filles sont moins nombreuses, les pourcentages le disent, les quotient, fractions, rapports, multiplications, soustractions tout autant : et si les chiffres le disent, la vérité est là. Bien sûr, bien sûr…

Mais que veut-on au juste? Qu’il y ait un exact partage de la belle manne permettant de faire des films entre les hommes et les femmes? Qu’on compte tout précisément 50 filles et 50 gars, histoire que l’ordre des choses soit respecté? Que tout cela soit beau, lisse, clair et net? Ou que les films, véritables nœuds du problème si on réfléchit deux minutes, soient réellement empreints d’une idéologie qui ne laisse aucun doute sur leurs convictions féministes et fassent ainsi véritablement avancer quelque chose? Pour le dire autrement, si un film porte en lui ces aspirations égalitaristes, s’il célèbre la femme dans sa complexité et ses nuances, s’il réussit un portrait juste et inspirant de ce qui nous sépare autant que de ce qui nous rassemble, quelle importance peut-il bien y avoir à ce que derrière la caméra, on ait les cheveux longs ou non?

Entendons-nous bien : que l’égalité des chances entre tous soit plus qu’un vœu pieu, mais une réalité, que l’accès aux professions soit le même pour tous, que l’on défende bec et ongles le droit des femmes, et des hommes par voie de conséquence, à assumer leurs choix, oui, oui et triple oui. Mais que l’on prétende que le cinéma ou l’art puisse avoir un genre, non, non et triple non. Il n’y a pas de cinéma féminin ou masculin, pas de sensibilité spéciale selon le sexe, pas de déterminisme selon le genre. Ce sont de fausses, et dangereuses, idées. De celles qui mènent justement à ce qui ne doit plus exister (les hommes filment des grosses voitures et des filles en bikini, les femmes des films liés à la maternité et aux sentiments). Le cinéma est certes affaire de regard. Mais l’histoire l’a maintes fois prouvée, ce regard peut être teinté de préoccupations viriles ou sentimentales, ou les deux à la fois, qu’il vienne d’un homme ou d’une femme.

Jusqu’à preuve du contraire, les grands films féministes, qu’ils aient érigé des statues aux figures de mère-courage, encouragé les femmes à prendre leurs destins en mains ou accompagnés de leurs images des parcours exemplaires, sont aussi le fait d’hommes. Mommy, Vera Drake, Thelma et Louise ou le cinéma d’Almodovar font tout de même bien plus pour la « cause » que les tentatives médiatiques de maintenir les femmes dans une position de victimes qui auraient besoin de toutes les mesures protectionnistes disponibles, incapables qu’elles sont, les pauvres enfants, de se faire une place.

Faire plutôt que dire, considérer que dans ce combat jamais gagné, les hommes sont loin d’être des ennemis mais que leurs visions peut – et doit – aider, simplement parce qu’ils sont des citoyens comme les autres, refuser de penser que le cinéma au féminin doit être défendu parce qu’il serait si différent, si particulier, si sensible, c’est aussi, et probablement plus même, faire de véritables pas dans la bonne direction.


23 octobre 2014