Éditos

Le parent pauvre ?

par Helen Faradji

Dans la grande hiérarchie divisant le merveilleux monde du cinéma, établie on ne sait trop où, on ne sait trop par qui, le haut de l’échelle reste occupé, qu’on le veuille ou non, par le cinéma narratif de fiction. C’est ainsi. À moins d’un « événement » (entendre la sortie d’un film de Michael Moore / Paul Arcand ou d’une nouvelle production Pixar / Dreamworks), le documentaire et le cinéma d’animation, célébrés respectivement lors des derniers RIDM et des prochains Sommets de l’animation (à compter du 27 novembre à la Cinémathèque, pour leur portion montréalaise) restent le plus souvent considérés au mieux comme des apéritifs, au pire comme des sous-genres.

Si le documentaire s’en sort généralement mieux, laissant sa marque dans l’esprit public par la force de ses « grands sujets » (ne soyons pourtant pas dupes, un « grand sujet » de documentaire, vu le ramdam qu’il avait fait, peut aussi apparemment être de filmer des répétitions de spectacle de Michael Jackson), le cinéma d’animation, lui, semble être un parent encore plus pauvre que son cousin venu du réel. Une preuve ? Tous les ans, ou presque, un cinéaste d’animation québécois ou canadien trouve sa place parmi les heureux nommés aux Oscar dans sa catégorie : juste pour rire, il serait probablement aussi amusant que parlant de comptabiliser le nombre d’articles consacrés l’an dernier à la nomination de Yan England pour son court de fiction à ceux consacrés à celle de Patrick Doyon l’année précédente pour son court d’animation. Hors des voix célèbres et des grosses machines, point de salut ? Et pourquoi, au juste ?

Le premier, et plus évident, préjugé entretenu autour du cinéma d’animation reste ce lien indéfectible qui l’unirait au monde de l’enfance. Animés, comme les bonhommes dessinés de la télévision, le samedi matin. Et pourtant. De Fritz The Cat aux Triplettes de Belleville, de Persépolis à Paprika, de Panique au village ! à Ghost in the Shell, en passant bien sûr par The Congress, trip hypnotique signé Ari Folman (Valse avec Bashir) questionnant la possible mort du cinéma tel que nous le connaissons, et fort judicieusement choisi par les Sommets pour ouvrir leurs festivités, combien de preuves faudra-t-il encore ? L’enfance, aussi agréable soit-il de s’y replonger (et c’est d’ailleurs une des forces de Pixar que de l’avoir compris), n’est pas un passage obligé pour qui veut aborder le cinéma d’animation.

Le second, forcément lié au premier, est que ce cinéma, souvent jugé « pour les enfants », ne peut donc pas charrier de grandes réflexions, de puissantes émotions, de renversantes fulgurances. Là encore, et pourtant ! L’amitié bouleversante d’une petite fille solitaire et d’un homme atteint d’un syndrome d’Asperger dans Mary and Max, le libre arbitre, l’existentialisme, le situationnisme ou les théories de Bazin disséqués dans Waking Life, la poésie symbolique baroque et noire des films des frères Quay ou même l’acceptation de la mort par les jouets de Toy Story 3… tout cela n’a-t-il pas une puissance d’évocation comparable, pour ne pas dire plus, à celui du cinéma de prises de vues réelles ? La profondeur des sentiments et des pensées provoqués est-elle vraiment moindre parce qu’une image est dessinée ?

Le troisième préjugé en découle directement : puisqu’un film est animé, son lien avec le réel, sacro-saint principe bazinien qui marquerait l’essence même du cinéma, ne pourrait être sincère. S’il y a dessin, il y a forcément trahison de ce lien, perte de la pureté, triomphe d’un imaginaire qui ne saurait être « sérieux » ou « important » puisqu’il n’est pas vrai. Mais coupons un brin les cheveux en quatre : entre McLaren et Michael Bay, entre Chris Landreth et Steven Spielberg, entre Michèle Cournoyer et Kathryn Bigelow, qui au juste est le plus « vrai », le plus « réel » ? Qui, véritablement, nous éloigne le plus du monde avec lequel il nous propose d’entrer en relation ?

Parce que les préjugés ne sont là, au fond, que pour être dépassés, les Sommets du cinéma d’animation 2013 sont une destination incontournable. Pourquoi ne pas aller y perdre quelques œillères ?

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Bon cinéma. Vrai ou non.


28 novembre 2013