Le sens du devoir
par Helen Faradji
Un flirt avec les 500 millions de dollars de recettes au box-office mondial dès son entrée en piste et un splash critique dont les échos d’une virulence absolue sont encore assourdissants aujourd’hui. La situation n’est évidemment pas nouvelle et Batman v Superman : Dawn of Justice ne fait qu’ajouter son nom à la longue liste de films assassinés par la critique mais courus par le public (Transformers, Fast & Furious, Twilight et toutes leurs déclinaisons…). Un décalage qui semble toutefois sur ce cas précis si immense qu’une rumeur a même couru prétendant que les critiques auraient en réalité été payé par le studio concurrent, Marvel, pour déverser leur fiel. Car bien sûr, nous savons tous que le critique, en plus d’être animé d’un désir de nuire constant et malfaisant, est fondamentalement malhonnête.
Évidemment, que la colonie critique se soit enthousiasmée dans les grandes largeurs pour le nouvel opus Star Wars en décembre dernier n’y change rien. Dès que l’occasion se présente (ce qui arrive de plus en plus souvent), la bonne vieille accusation pointe à nouveau son nez : les critiques sont d’atroces snobs, incompétents et hypocrites, qui ne comprennent rien au divertissement et ne veulent en réalité qu’admonester le pauvre spectateur qui ne demande rien qu’à « oublier-sa-vie-triste-et-grise-devant-un-film-qui-ne-l’oblige-à-rien-d’autre-qu’à-avoir-du-fun ». Que le film soit bon, que la mise en scène y soit lisible et intelligente, l’idéologie fine et équilibrée, le reflet du monde pertinent et profond (oui, même dans Batman v. Superman), quelle importance ? Why so serious ?, ricanerait l’autre. Tant que la chose nous amuse, nous aide à nous évader, nous coupe du réel pendant 2h30….
De l’autre côté de l’Atlantique, une solution peut-être encore plus radicale que les geignardises anti-critiques diffusées sur les réseaux sociaux, semble avoir été trouvée. Ne pas montrer le film aux critiques, tout simplement. Pour donner une vague idée de comment les choses se passent : une semaine, parfois deux, avant sa sortie en salles, le film est en général montré lors de projections matinales réservées à la presse (à noter, les blockbusters échappent en général, ici, à cette tradition et sont plutôt montrés au public lors d’avant-premières un ou deux jours avant la sortie, le critique étant invité, ou non, à ces soirées où il pourra donc prendre le pouls de la réaction du « vrai monde »). Le critique rédige ensuite son papier ou fait son entrevue et fait connaître son avis dans une fenêtre de quelques jours, la plupart du temps précédant la sortie. Comment couper court ? L’équipe des Visiteurs 3, en France et ici au Québec, a trouvé ! En n’organisant aucune possibilité pour les critiques de voir le film avant son arrivée en salles. Pan dans les dents !
Vraiment ?
Entendons-nous bien. Que la presse s’exprime et soumette a priori son avis expert (ce que l’on souhaite) sur Batman v. Superman ou sur Les visiteurs 3 ne changera strictement rien au destin commercial de ces films qui auront su, à grands renforts de publicités, attirer l’attention sur leur existence de façon presque tyrannique. Pour le dire autrement, il n’y a strictement rien à découvrir là. Mais de façon plus globale, que la critique s’efface – ou soit effacée – devant ces films est à long terme extrêmement dommageable. Son absence finirait par conduire à un autre cliché entretenant l’idée d’un cinéma à 2 vitesses : d’un côté, les gros films n’existant que grâce aux dollars qu’ils peuvent aligner pour leur promotion (la cagnotte sera alors forcément remportée par le plus riche, puisque le plus visible), de l’autre le reste de la production qui a « besoin » de la critique pour être soutenu et défendu, tant idéologiquement que matériellement. Les gros qui n’ont besoin de personne V. les petites victimes qu’il faut donc protéger. Avouez que ça fait rêver…
Bon cinéma
7 avril 2016