Le temps de la neige et des bilans
par Helen Faradji
On ne coupera pas les cheveux en quatre : l’année 2016 en aura été une que même la reine dirait horribilis. Oh bien sûr, comme toujours, il y a eu quelques trouées d’espoirs, quelques pauses bienvenues, mais dans son ensemble, impossible d’avoir envie de la serrer contre soi pour bien dormir.
Pour la résumer en quelques tendances, 2016 aura aussi surtout été :
* L’année du deuil : Jacques Rivette, Ettore Scola, Alan Rickman, René Angélil, David Bowie, Umberto Eco, Colin Low, François Dupeyron, Jim Harrison, Prince, Ronit Elkabetz, Rita Lafontaine, Bud Spencer, Maurice G. Dantec, Benoîte Groulx, Pierre Grimblat, Mohamed Ali, Abbas Kiarostami, Michael Cimino, Elie Wiesel, Gene Wilder, Michel Butor, André Melançon, Curtis Hanson, Claude-Jean Philippe, Andrzej Wajda, Pierre Tchernia, Leonard Cohen, Raoul Coutard, Bernard Lalonde, Peter Vaughan, Gotlib… et beaucoup d’autres. En 2016, le sentiment collectif d’avoir été rattrapé par la mort aura été particulièrement étouffant et démoralisant.
* L’année de la salle en danger : faut-il ou non la défendre ? Pourquoi a-t-on encore besoin de la défendre ? Comment la rendre plus attirante ? Faut-il y ajouter un bar, un restau, des projections de films-cultes ? Les questions auront été nombreuses cette année autour de la salle de cinéma, lieu que l’on a pensé à tort trop longtemps indéboulonnable. Un peu plus d’un an après la fermeture de l’Ex-Centris, preuve est pourtant faite que la donne n’a assurément pas changé pour le meilleur. Pression toujours plus accrue de Netflix qui vient littéralement jouer dans ses plates-bandes en achetant des films de cinéma en exclusivité, séries toujours plus addictives, concentration dans des multiplexes de commerce peu agréable… 2016 est une année de mutation et c’est sous nos yeux ébahis que l’on voit le modèle de distribution et de diffusion des films hors blockbusters être complètement bouleversé. On attend donc demain de pied ferme en soulignant toutefois deux beaux succès de l’année 2016 : le réveil de la Cinémathèque québécoise, qui s’est imposée comme acteur majeur du paysage montréalais, et le succès des soirées de projection festives au bar Le Ritz.
* L’année de la discrétion : à l’exception de Rogue One qui évolue dans une catégorie à part où seule « la saga » compte, pas de hit tonitruant du côté du cinéma 2016, pas de raz-de-marée ni commercial ni émotif. La palme d’or, qui en général donne le ton, a été remise à I, Daniel Blake de Ken Loach pour lequel les enthousiasmes ont été, disons, modérés. Personne ne s’est arraché la chemise, ce qui a aussi paradoxalement laissé une belle place à une flopée de drames plus discrets, mais beaux, simples, droits, du cinéma qui poétise le quotidien, le banal même pour mieux le transcender, du cinéma « à l’ancienne » dans le meilleur sens du terme : L’avenir, de Mia Hansen-Love, Moonlight de Barry Jenkins, Manchester by the sea de Kenneth Lonergan, Mia Madre de Nanni Moretti, Aquarius de Kleber Mendonça Filho, Midnight Special de Jeff Nichols ou Arrival de Denis Villeneuve. Au final, on ne s’en plaint pas.
* L’année d’Isabelle Huppert : si la diversité s’est invitée dans les images américaines, certes encore timidement mais tout de même, l’année cinéma semble toutefois avoir été marquée par les portraits de femmes. Des femmes complexes, contradictoires, dignes, grandes dans l’adversité, tristes, souffrantes. Des femmes non plus réduites à quelques traits ou au rôle de faire-valoir. Des femmes et des actrices inspirantes. Sonia Braga en résistance dans Aquarius, Amy Adams en résilience dans Arrival, Margherita Buy au bord de la crise de nerfs dans Mia Madre, Virginie Efira au beau milieu d’un exercice de jonglerie existentielle dans Victoria de Justine Triet, Natalie Portman en icône détruite dans Jackie, Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena en jeunes femmes rêvant leur avenir dans Divines de Houda Benyamina, Kim Min-hee et Kim Tae-ri en arroseurs arrosés dans Mademoiselle de Park Chan-wook, Karina Aktouf en femme brisée dans Montréal la Blanche… Les portraits auront été autant de variations passionnantes sur la féminité. Mais aucun n’aura égalé ceux qu’ont fait Paul Verhoeven et Mia Hansen-Love de leurs personnages autant que de leur actrice commune : Isabelle Huppert. Femme violée mais sur qui Elle refuse de porter tout jugement moral, femme abandonnée qui se tourne vers la lumière et la liberté dans L’avenir, Huppert aura incarné deux archétypes avec une capacité de les dépecer à chaque seconde proprement hallucinante. Actrice de l’économie, elle est parvenue cette année à une épure quasi-parfaite, donnant du même geste à ses personnages une épaisseur aussi mystérieuse que fascinante. Un Oscar n’y changera rien : Isabelle Huppert est assurément l’actrice de l’année.
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La semaine prochaine, l’année sera décortiquée sous toutes ses coutures dans le numéro de la revue 24 Images. Puis, il y a aura quelques vacances.
On se retrouve donc le 5 janvier. D’ici là, à tous, de beaux films sous le sapin et le meilleur pour cette nouvelle année qui, de toutes façons, ne peut pas être pire que celle que l’on vient de connaître. Quoi que…
Bon cinéma et bonnes vacances
15 décembre 2016