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Éditos

Les filles sont bêtes

par Helen Faradji

Goodfellas, pierre angulaire du cinéma de gangsters nouveau genre déposée à nos pieds par l’infiniment grand Martin Scorsese, a 25 ans cette année. À l’exception peut-être d’une volonté de meubler une après-midi triste et grise en perdant son temps sur Imdb où ces choses sont annoncées comme si elles étaient de la plus haute importance, cet anniversaire serait probablement, comme tous ceux du type, passé inaperçu. Sauf que…

Sauf que tout a commencé par la republication sur un blogue d’un court essai que consacrait à l’époque le non moins grand Martin Amis à l’œuvre, où il expliquait que celle-ci, avec Raging Bull et Casino formaient la trilogie mafieuse de Scorsese, une trilogie réaliste et kafkaïenne, ce qui la différenciait de celle de Coppola, puisque Goodfellas notamment « punissait » symboliquement les truands en les montrant pour ce qu’ils sont : esclaves et victimes de l’argent.

500 mots vifs et précis desquels, Dieu seul sait comment, Kyle Smith, critique au New York Post a pu tirer une étrange et non-substantifique moelle, par laquelle, revenant sur le fait que sa désormais-ex petite amie avait déclaré après avoir vu avec lui Goodfellas « c’est un film de gars », Smith nous explique que, contrairement à The Godfather, un véritable drame criminel, lui, le film de Scorsese est d’abord et avant tout l’image exacte d’un fantasme masculin : « Way down deep in the reptile brain, Henry Hill (Ray Liotta), Jimmy the Gent (Robert De Niro) and Tommy (Joe Pesci) are exactly what guys want to be: lazy but powerful, deadly but funny, tough, unsentimental and devoted above all to their brothers — a small group of guys who will always have your back. Women sense that they are irrelevant to this fantasy, and it bothers them. »

Passons sur l’outrancière généralisation qui, à raison a mis l’internet en colère (loué soit St-Indiewire d’avoir rabattu le caquet du « critique » en listant nombre d’extraits de textes sur le film écrit par des critiques femmes), et le fait qu’on ne mettrait pas 10 cents sur le pari que Thelma Schoonmaker se sente exclue et ne comprenne rien aux fantasmes de Martin Scorsese, mais restons un instant sur cette question : est-il possible, voire nécessaire, de croire à une lecture genrée des films, et des œuvres d’art ? Y’a-t-il des films faits pour les hommes et d’autres pour les femmes ?

Tout dépend de la position dans laquelle on se place, volontairement ou non. En considérant les films comme de purs produits de commerce, à l’instar d’un yaourt ou d’une bouteille de shampoing, cette lecture est plus que possible, elle est même souhaitable, puisqu’elle indique aux marketeux, concepteurs de films et autres publicitaires comment vendre leur salade. Une belle affiche rose, un sourire sain à grandes dents, une jolie robe, une intrigue sentimentale et un peu drôle et le tour est joué, madame sera au rendez-vous. Une touche de bleu ou de noir, quelques armes, une franche camaraderie, une intrigue criminelle, et hop, voilà monsieur qui rappliquera. Tout le monde dans sa petite case, et bienvenue en 1952.

Emprunter un point de vue purement artistique est autrement plus problématique. Considérer qu’un film est « un film de femmes/d’hommes », c’est présumer qu’il sera lu et reçu comme tel (à quelques exceptions et plaisirs coupables près). C’est donc aussi présumer que l’art est cloisonné et cloisonnable, qu’il existe en son sein des sections réservées à tels ou tels groupes, ce qui, bien évidemment, va à l’encontre de tous les enseignements philosophiques qui nous auront appris que l’art est universel et peut transcender – c’est une de ses belles qualités – les différences d’âges, de statuts, de sexes, de races, d’opinions… Or, en gardant en tête ces idées, la déclaration de Smith n’en devient que plus choquante. Car l’histoire du cinéma regorge d’exemples de films signés par des hommes qui ont su lire des problématiques féminines et rejoindre des spectatrices (tout le cinéma d’Almodovar ou presque, Mike Leigh et sa Vera Drake, Dolan et sa Mommy, Amos Kollek et sa Sue, Todd Haynes et sa Carol, Kechiche et son Adèle…). Or si les cinéastes hommes peuvent lire les femmes, comment ne pas admettre du même souffle que les spectatrices femmes peuvent elles aussi lire des univers d’hommes ? Comment penser que l’objet-film, fut-il un portrait d’un fantasme masculin, ne saura dépasser cette « frontière » et intéresser, captiver ou même seulement titiller la curiosité des femmes ? Ah oui, parce que les filles sont bêtes… CQFD.

 

Bon cinéma, pour tous.


18 juin 2015