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Éditos

Les geeks attaquent

par Helen Faradji

Il n’y a pas si longtemps, les geeks et leurs pendants à lunettes, les nerds, bénéficiaient dans la culture pop d’une certaine aura de sympathie. Dans les séries des années 1980-90 – puisqu’elles sont tellement à la mode ces jours-ci-, ils étaient ces cinquièmes roues inoffensives et marrantes, toujours prêts à aider le héros ou à faire rire tant que personne ne lui demandait de quitter son sous-sol. Et puis quelque chose a changé. Dans les films, le geek a montré son potentiel dangereux, se transformant parfois en hacker malfaisant. Et c’est aussi dans la vraie vie qu’ils ont montré les crocs, allez savoir pourquoi, se faisant aller l’insulte et la menace sur l’internet et mutant en trolls.

On se souvient ainsi de quelques premiers coups d’éclat. Par exemple quand Christopher Nolan n’avait pas été nommé aux Oscar pour son Dark Knight et que la communauté des fanboys s’était fâchée tout noir. Puis, ils ont affiné leurs cibles et aiguisé leurs mots. Les filles, d’abord, – celles qu’ils n’avaient justement jamais dans les séries – attaquées directement par autant de menaces que d’insultes (les actrices de GhostbustersLeslie Jones raconte ainsi : « They tweeted me pictures and videos of penises, called me the N-word and threatened to hang me. Over a 48-hour period, I blocked at least 200 Twitter trolls » -, la blogueuse Anita Sarkeesian dans le merveilleux monde du jeu vidéo…). Et les critiques ensuite. Ces méchants snobs, prétentieux, incapables d’apprécier ces fantastiques films de capes et de super-pouvoirs, et qui en plus privilégient l’une des écuries à l’autre. Le problème, c’est que comme avec Leslie Jones, c’est allé un peu trop loin. Un critique n’aime pas Man of Steel ou The Dark Knight Rises ? On les menace de mort, en pimentant le tout d’insultes sexistes si c’est une femme. On n’est pas content des critiques de Suicide Squad ? On part une pétition pour faire fermer les sites qui relaient des opinions « dissidentes ». Ça les pique visiblement là où ça réveille le méchant.

Parce que ces attaques critiques contre les films qu’ils aiment, ce sont aussi des attaques contre ce qu’ils représentent. Comme une connaissance terrifiante de l’univers des comics, avec tous ses croisements et ses hybrides. Une idée aussi qu’il ne s’agit pas d’une sous-culture et qu’elle doit être reconnue. Et avec une retenue et un sens du débat dignes de Game of Thrones, ils veulent défendre tout ça et partent en bataille, armés de leurs ordinateurs et de leur rage de vengeance.

Apparemment, ce sont les temps qui veulent ça. Une espèce de cro-magnonisation généralisée qui trouve dans les réseaux sociaux le meilleur des égoûts.

Parce qu’il faut aussi rappeler ceci. On peut certes reprocher aux critiques une virulence, un acharnement, une inefficacité absolues (cet article de Variety institutionnalisant même l’idée que les critiques ne servent à rien dans cet univers de studios). Mais on ne peut pas leur reprocher d’ignorer ces films, ces voix, ce qu’ils ont à dire. Contrairement aux fan-boys. Parce que sincèrement, à part les entendre déchirer leur chemise et pleurnicher parce qu’on a dit du mal de leur chouchou, les entend-on défendre une idée de cinéma quelconque un tout petit plus englobante ? Il n’y a pas que leur cinéma, intouchable et sacré, à défendre comme un territoire assailli. Il y a le cinéma, pour tout le monde, généreux et varié. Il y a se balader d’un 56e X-Men à Weerasethakul si ça nous tente et de les prendre également au sérieux tous les deux. Mais aussi d’attendre la même chose qu’eux. Un peu plus que le grand 8 “menace-bataille-toutexplose” que vraiment oui, on a vu mille fois.

Du bord des braillards, peu (aucun ?) n’a jamais vraiment défendu autre chose que son droit à laisser ses pulsions hormonales s’exprimer.

Ils se pensent sur un champ de bataille, animé d’une noble mission. En vérité, ils sont des Gremlins. À qui on aurait envie de ne dire que ces quatre mots : chill the fuck out.

 


11 août 2016