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Éditos

Les oubliés

par Helen Faradji

Ils étaient 17. Ça pourrait presque être un titre de film. Ou un début de synopsis. 17 membres de ce bon vieux « milieu du cinéma », des producteurs, des réalisateurs, des propriétaires de salles, des diffuseurs… 17 têtes pensantes appelées, à l’invitation du Ministre de la Culture, à réfléchir aux enjeux majeurs que le cinéma a, et aura, à affronter s’il veut continuer à garder la tête hors de l’eau. Ou du moins à se le faire croire.

Attendu, espéré, décrié avant même qu’il ne soit écrit, le fameux rapport du Groupe de travail sur les enjeux du cinéma est donc enfin disponible. Vous pourrez le lire ici dans son intégralité
ou en suivre les grandes lignes dans ce texte synthétique et fort riche de notre collègue Charles-Henri Ramond . Mais qu’en retenir au juste ?

Entre autres, qu’il faut aider la diffusion en région, à la télévision et sur les plates-formes numériques du cinéma québécois. Qu’il faut que le cinéma fasse partie des programmes d’éducation de nos chères têtes blondes. Qu’il faut stimuler la concurrence entre distributeurs. Qu’il faut plus de sous pour le développement et l’écriture, que les sous alloués à la production soient mieux répartis, tout en étant eux aussi bonifiés et en permettant dès lors de soutenir des carrières sur le long terme, et que le secteur privé et les joyeux drilles du merveilleux monde virtuel mette eux aussi la main à la poche. Que le succès des films soit mesuré non plus par un seul comptage du nombre de billets vendus, mais aussi par celui de spectateurs et par l’obtention de prix ou de reconnaissance festivalière ici ou ailleurs…

Bien. Comment peut-on être contre la vertu ? Comment ne pas vouloir en effet que tout aille mieux dans le meilleur des mondes, que tout le monde nage dans le plaisir le plus pur et que le milieu du cinéma québécois danse, le sourire aux lèvres, sous une pluie de billets verts qui ferait évidemment son bonheur plein et entier ?

Pourtant, comment ne pas aussi avoir envie de jouer les rabat-joie et de voir qu’au-delà de ces recommandations qui, par moments, avouons-le, ressemblent surtout à des vœux pieux  – et qui, maintenant formulés, soyons honnêtes, n’auront probablement pas grand effet (si on y lit plusieurs fois les mots « stimuler », « encourager », « consolider », encore aurait-il fallu qu’elles soient accompagnées de mesures précises et concrètes pour véritablement pouvoir être mises en œuvre) -, de nombreux acteurs de ce fameux milieu restent les grands oubliés de cette réflexion ?

Certains l’ont souligné eux-mêmes, comme ces acteurs de la production culturelle numérique et interactive qui déplorent, et avec raison, « qu’il n’existe aucun soutien tangible pour ces nouvelles formes d’écriture », pourtant elles aussi reconnues à l’international comme une des forces créatives singulières et bouillonnantes du Québec. Le merveilleux monde du numérique ? Oui, pour fournir des revenus, mais pas pour créer du contenu, en somme…

Les festivals, partie intégrante de la solution comme du problème, sont encore largement ignorés par ce rapport. Sauf mention que les prix qu’ils remettent doivent désormais faire partie de la reconnaissance du succès d’un film, oubliés eux aussi. Pire, même : c’est alors que Cinémania et les RIDM battaient leur plein, vendredi dernier, que le rapport a été rendu public. Alors donc que les joueurs du milieu festivalier avaient la tête à tout, sauf à éplucher des pages et pages de contenu. Et pourtant. Ces festivals ne restent-ils pas des acteurs forts et importants pour stimuler l’intérêt du public, positionner les films dans l’échiquier de l’année, favoriser les échanges créatifs et les rencontres ? Ne font-ils pas eux aussi partie de l’équation ?

Quant à la critique et au milieu médiatique, rien à signaler non plus. Faudra-t-il néanmoins encore une fois rappeler que sans espace critique digne de ce nom, plus de discours autour des films, plus de titillage de curiosité, plus d’ouverture aux films, notamment indépendants, que l’on prétend défendre ? Faudra-t-il encore une fois noter que le règne sans conteste de la promotion, du marketing, de la publicité ne sert pas le cinéma québécois dans toute sa richesse et sa diversité, bien au contraire ? Faudra-t-il encore une fois souligner que la critique n’est pas cet ennemi prêt à tout torpiller, mais bien plutôt un joueur essentiel de cette industrie et que de ne pas l’inclure dans de telles réflexions montre surtout les contours d’un « milieu » qui se vit principalement en vase clos, entre certains élus ?

Le cinéma québécois ne sera pas sauvé uniquement par l’injection d’argent, toujours plus d’argent. Ni par la production de plus de films. Il sortira peut-être du bois lorsque tous ses acteurs réfléchiront ensemble pour que les films soient mieux mis en valeur. Non pas comme des produits, mais comme des objets d’art.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, un communiqué nous apprenait que la prochaine soirée des Jutra serait présentée conjointement par Pénélope McQuade et Laurent Paquin. Prendre le cinéma au sérieux, non pas comme un divertissement de plus, sans conséquence, ni incidence autre que celle d’étourdir les masses et de rapporter quelques subsides, n’est-ce pas au fond la véritable question qu’il faudra bien aussi aborder un jour ?

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Nous apprenions cette semaine le décès du cinéaste et producteur Peter Wintonick (Manufacturing Consent). Il manquera assurément.

 

Bon cinéma


21 novembre 2013