L’espoir
par Helen Faradji
Chez nous, elles ferment et réduisent l’espace cinéphile à peau de chagrin. Chez d’autres, l’expérience d’une culture cinéma forte et vivante en prend aussi pour son grade, bien sûr, mais pas seulement. Ouvrir une salle de cinéma en 2016? Pour plusieurs, l’idée même ressemble à de la folie pure… Pourtant, c’est bel et bien le défi que plusieurs ont décidé de relever… à New York.
Ainsi, le fantasmatique Metrograph a ouvert ses portes dans les derniers jours dans le Lower East Side, comptant sur ses deux salles, son bar, son restaurant et sa librairie pour accueillir les amateurs de cinéma international, indépendant et de répertoire (la soirée d’ouverture était ainsi consacrée à Taxi Driver et à Purple Rose of Cairo, la première rétrospective sera celle des œuvres de Jean Eustache). Le Alamo Drafthouse, lui, sera bientôt inauguré, en plein Brooklyn tandis que le Quad, à Greenwich Village, s’apprête à faire peau neuve avec trois salles où premières et films classiques se partageront l’attention du public et que l’IFC Center va s’agrandir en acquérant l’immeuble adjacent ce qui lui permettra d’ajouter 6 salles aux 5 existantes.
Interrogés par le New York Times, les programmateurs et propriétaires de ces endroits sont d’abord décrits comme jeunes, nostalgiques du New York des années 70 et 80 où l’expérience du cinéma se vivait avec ferveur en salles, mais également comme d’ardents cinéphiles revigorés par le succès inattendu de la présentation récente en première new-yorkaise des 13 heures de Out 1 de Jacques Rivette qui a attiré foule. Tous ont également conscience de l’importance capitale de redonner son lustre à la salle de cinéma : personne pour vanter l’implantation de jeux d’arcade ou le pop-corn moins cher, tous pour louer les projecteurs dernier cri, le retour du 35mm, le confort des salles et la qualité de l’accueil.
Mais là-bas, comme ici, il ne faut pas se leurrer, le véritable enjeu reste le même : comment attirer des spectateurs, sollicités de toute part, autant dans le confort de leur foyer que dans les rues ? Sur ce point précis et capital, l’article du New York Times reste évasif, notant simplement que ces hommes et ces femmes de bonne volonté partagent tous, en plus d’une passion indéfectible pour le cinéma, pour tout le cinéma, une foi sincère, mais limitée avouons-le, dans le bon vieil adage : « if you build it they will come ».
Mettant de l’avant la même idée de l’engagement de la communauté cinéphile locale, une entrevue avec les trois responsables (le propriétaire et les deux programmateurs) du fameux Metrograph, parue dans Indiewire, permet d’en savoir un peu plus. Réaffirmant d’abord qu’aucun autre endroit qu’une salle ne peut offrir l’expérience de voir un film dans le noir, sur un écran gigantesque et en 35, les intelligents Metrographeux font également dévier légèrement le discours ambiant en notant que l’ennemi n’est assurément pas la télévision ou l’ordinateur, et que ces façons différentes d’absorber des images ne sont pas antagonistes, mais complémentaires, prenant l’exemple des services de livraison de nourriture à domicile qui existent mais n’ont jamais empêché les gens d’aller aussi au restaurant. Attirer le public jusqu’à eux dépend alors, selon leurs dires, de leur capacité à créer une expérience unique, collective, durant laquelle sont assurées tant les conditions de projection maximales (une fenêtre a ainsi été aménagée au balcon pour que l’on puisse observer directement le travail du projectionniste) que la possibilité de socialiser avant ou après ou la qualité des films, de leur talent à réinjecter de la magie dans l’idée même d’aller voir un film en salles, mais également de l’implication des cinéastes et créateurs eux-mêmes dans l’endroit (Noah Baumbach fait ainsi partie des programmateurs invités au cours des prochaines semaines).
À lire cette entrevue, deux enseignements semblent clairs : d’abord que rien ne sera plus séduisant pour un cinéphile que l’enthousiasme généreux de ceux qui veulent lui offrir plus que le tout-venant. Ensuite que le spectateur n’est pas par définition cet empêcheur de faire vivre le cinéma, coupable de ruiner le plaisir de quelques happy few et qu’il appartient aux salles de les chouchouter et certainement pas de les blâmer.
Certes, Montréal n’a pas les moyens de New York ou encore moins de Paris. Le public est y moins nombreux, les infrastructures beaucoup plus lourdes et complexes à gérer. Mais revenir à ces idées de base, simplement, serait assurément un premier pas dans la bonne direction.
10 mars 2016