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Éditos

Lettre à Harmony Korine

par Helen Faradji

Cher Harmony

Il est des films comme Spring Breakers, des films importants, des films-phares à la portée et à l’acuité si précises, qu’ils donnent envie de s’adresser directement à leur auteur.

D’abord, il faut vous dire la vérité, Harmony. Depuis le temps qu’on se connaît, on peut bien se le permettre. Au milieu des années 90, alors que Kids de Larry Clark, dont vous aviez signé le scénario, et Gummo, votre premier essai à vous, sortaient, le gamin génial et turbulent, à l’insolence aussi fraîche que les idées, que vous étiez nous avait emballé. Comme il avait épaté Werner Herzog ou Gus Van Sant qui avouaient sans peine être vos plus grands fans. Mais depuis, vous nous avez manqué. Terriblement.

Bien sûr, on s’amusait encore de ces quelques sosies de Chaplin ou de Marilyn plantés là, comme des girouettes attendant le vent, dans Mr. Lonely, ou des facéties sans tonus de vos Trash Humpers. Mais le cœur n’y était plus. La tendresse que nous avions pour vous ressemblait à celle, teintée de déception, que l’on a pour ces petits cousins capables à 4 ans de dessiner comme Picasso mais qui, à 18 ans, passent leurs grandes journées avachis sur un canapé à gober tout ce qui leur passent sous les yeux ou le nez.

Aujourd’hui, Harmony, vous avez 40 ans. Et après L.A., New York et Londres, vous êtes revenu vivre dans votre Nashville natal. Là où tout a commencé. Là où gamin, vous aviez eu l’indicible courage de refiler un de vos bricolages sur VHS à Larry Clark passé photographier quelques skateurs, dont vous étiez, dans un parc. Là où était née l’idée, improbable et hypnotique, de s’attacher au destin de marginaux après le passage d’une tornade. Là, enfin, où les tentations n’avaient pas encore fait de vous ce zombie s’en remettant sans réfléchir aux provocations faciles et à la mollesse formelle. C’était avant la dope, avant votre disparition, avant l’interdiction de venir sur le plateau de Letterman après que vous ayez fouillé dans le sac de dame Meryl…

Forcément, l’annonce de votre Spring Breakers faisait un peu peur. Peur, justement, parce qu’un tel film, comptant sur les présences qu’il fallait transcender des princesses Selena Gomez, Vanessa Hudgens et Ashley Benson et de James Franco, n’aurait supporté aucune paresse, aucune maladresse. Peur parce que, pour le concevoir, vous êtes allés vous même tâter de l’ambiance spring break en passant 10 jours en Floride aux côtés de cette jeunesse désaxée, dévastée, aux risques d’y croiser tous vos démons. Peur encore parce que les images iconiques qui circulaient de ce projet depuis l’année dernière (les dents de Franco, les bikinis des filles, les cagoules roses fluo, les guns…) pouvaient laisser apercevoir le pire comme le meilleur.

Et puis, Spring Breakers est arrivé. Un choc. De ceux qui alimentent les plus vives polémiques (Guardian contre Cahiers, Hoberman contre Rue 89), qui réveillent les esprits critiques engourdis par ces trop longs mois à avaler sans passion films en plastique et œuvres insignifiantes. Un film qui ose le grotesque pour mieux flirter avec le sublime, l’obscène pour mieux le transcender, le navrant pour mieux déconstruire, tant formellement que narrativement, notre culture du vide, aux héroïnes britneyiennes aussi factices que sombres. Un film qui, sans fards autres que ceux de votre créativité enfin maîtrisée, sans recours à cette fausse esthétique d’un cinéma-vérité auquel vous même ne sembliez plus croire, montre et comprend, sans la pardonner, cette Amérique triste et vaine qui n’a de pop que le nom. Un film, au final, aussi important culturellement que politiquement.

Re-bienvenue, cher Harmony, dans le monde des vivants. Re-bienvenue dans le monde du cinéma.

Bon Spring Breakers

Helen Faradji

La bande-annonce de Spring Breakers


4 avril 2013