L’Internationale
par Helen Faradji
Force vive du cinéma mondial, le cinéma français, comme les autres, traverse cette période de crise comme une tempête où chacun s’accroche aux mâts qu’il trouve, en espérant l’accalmie prochaine, mais en ayant bien conscience aussi que les acquis d’hier ne suffiront pas à trouver sa place demain. Au Québec, et à Montréal en particulier où il est, il faut bien le dire, mieux diffusé et représenté, le cinéma hexagonal n’a ainsi plus cette aura capable de rameuter les foules ou cette capacité à s’installer sur les écrans pour une durée qui permettrait véritablement aux films d’y vivre. Là-bas, comme ici, le triste règne des films-kleenex qu’on sort à la va-vite (en début d’année, le touchant Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé a ainsi littéralement été garroché sur quelques écrans d’ici, sans que personne ne s’en soit réellement soucié) et qu’on oublie aussitôt. Là-bas, comme ici, l’impression parfois démoralisante que les films, eux résistent en persistant à incarner une certaine idée du cinéma comme un art, mais sur lesquels le public lève le nez. Signe des temps ?
Lors du grand raout parisien de janvier, organisé par Unifrance, organisme chargé d’assurer la promotion du cinéma français à l’étranger, Isabelle Giordano, sa nouvelle directrice générale nommée en avril 2013, se faisait lucide : « ah oui, j’aurais préféré arriver en 2012, avec tous les succès, les Oscar, etc… En même temps, l’enjeu est intéressant. C’est un peu comme après une grande fête, vous avez la gueule de bois et c’est l’occasion de se remettre en question ». Car si cette ancienne journaliste qui a toujours eu le cinéma à cœur est bien consciente des difficultés à exister dans un environnement sclérosé par la force de frappe d’Hollywood-le-bulldozer et par la disparition des salles de cinéma dignes de ce nom au profit de multiplex, elle n’hésite pas aussi à affirmer l’importance pour le cinéma français de prendre ses responsabilités. De trouver ses solutions plutôt que de blâmer sans cesse un coupable. « Il faut que l’on joue notre carte maîtresse, qui est notre diversité, affirmait-elle ainsi. Se servir par exemple des films de Luc Besson ou de Jérôme Salle comme des locomotives qui peuvent ensuite faire découvrir des films plus pointus comme Suzanne, La fille du 14 juillet, La bataille de Solférino… Mais on doit aussi apprendre à s’ouvrir au monde. Ce n’est pas limité au milieu du cinéma, d’ailleurs, mais les Français ont tendance à toujours se regarder le nombril et à penser qu’ils sont les rois du monde avec une petite forme d’arrogance. Tout le monde doit avoir cette prise de conscience : le marché international est important ! »
Si quelques chantiers concrets sont au menu d’Unifrance pour 2014 (« Il faut réfléchir au numérique, à comment exposer au mieux nos films sur les plateformes VOD, explique Giordano. Mais aussi continuer à séduire le jeune public qui déserte les salles, ou apprendre à mieux éditorialiser et donner du sens aux programmations dans nos festivals, le tout dans un contexte où, de façon générale, la culture a de moins en moins d’importance »), c’est aussi peut-être dans une vision plus globale du merveilleux monde du cinéma que se niche une solution. Ne plus l’observer avec ses lunettes nationales sur le nez, en le divisant en castes plus ou moins puissantes, plus ou moins enthousiasmantes. Car il n’y a pas, il n’y a plus (et y’a-t-il jamais eu?), un cinéma français unique et indivisible, pas plus qu’il n’y a un cinéma québécois ou un cinéma américain. Chacun est multiple, mouvant nourri de mille propositions, de mille regards, composant une vaste mosaïque où des ponts se créent pour mieux envisager le monde dans son ensemble. Dans un contexte mondialisé, dans un contexte de crise enjoignant aussi à d’odieux réflexes de repli sur soi et de communautarisme effréné, peut-être est-ce bien là la voie à suivre ? Celle de l’échange, du partage, du regard au-delà des frontières et des cases pré-établies.
De ces quelques jours passés à Paris à rencontrer divers artisans de ce cinéma français en quête de lui-même, c’est bien ce qui frappait : le sentiment d’avoir échangé avec des artistes qui parlaient tous la même langue, celle de la cinéphilie. Katell Quillévéré évoquant Maurice Pialat aussi bien que le grand mélodrame américain, Arnaud des Pallières et son amour du western, Isabelle Czajka et la littérature britannique, Sara Forestier et le cinéma des Dardenne, Dupontel et sa vénération des inoxydables Pythons…. Les discussions n’avaient rien de nationales, et tout de cinématographiques. Or, c’est sûrement dans cette idée de ce qui nous rassemble, de ce cinéma que nous aimons tous, quelles que soient notre langue, notre culture ou notre réalité nationale, que peut-être, un demain plus heureux pourrait s’envisager.
C’est en tout cas ce qu’Isabelle Giordano semblait suggérer aussi en notant que « le système de venir faire une première de film à l’étranger est peut-être un peu dépassé. On est un peuple qui adore discuter et débattre et j’aimerais transporter ça ailleurs. Que lorsqu’un réalisateur français se déplace, il puisse rencontrer les réalisateurs et producteurs du pays où il va. Ce genre d’échanges est important. ». Diviser pour mieux régner, une chose du passé ? Une vision marchande qui n’aidera pas, bien au contraire ? Fort probablement. Si les défis de 2014 restent pleins et entiers, une chose apparaît certaine : c’est dans l’ouverture qu’est l’avenir.
Bon cinéma.
23 janvier 2014