Éditos

Mais comme ils sont méchants…

par Helen Faradji

« Critique ». On a beau le dire, le répéter sur tous les tons, dans tous les sens, qu’elle n’est pas ontologiquement ce grand méchant loup constamment prêt à mordre, le préjugé reste le même. La critique – pas seulement celle qui se penche sur les films, mais celle plus globale qui s’exprime également dans ses points de vue sur l’industrie cinématographique locale, mondiale, celle qui veut gravir l’Everest cinéma au-delà de la seule perspective des sorties en salles », c’est forcément négatif. Le mot même le dit. Critiquer, ce n’est pas analyser, essayer de comprendre, tenter de décrypter les discours, c’est rentrer dedans, taper fort, vouloir faire mal, corollaire systématique du bon vieux « le critique est un artiste frustré qui se sert de son espace médiatique pour mieux déverser sa bile et sa hargne, tout envieux qu’il est, au fond, de n’avoir pas su être de l’autre côté de la barrière ».

La chanson est connue, tellement qu’elle en est usée jusqu’à la corde. Même si parfois, elle est remplacée durant quelques jours ou semaines par la tout aussi harmonieuse : « mon dieu que la critique est complaisante ici avec les films québécois », à peu près aussi valable que l’autre.

Car, il ne faut pas se tromper : au même titre que le cinéma québécois est souvent injustement associé au cliché du cinéma « gris et lamentard », la critique se coltine elle aussi de belles casseroles.

Ayant cela en tête – pratiquer ce métier, c’est constamment s’y frotter ! -, l’écoute de la sympathiquement impertinente émission radio La soirée est encore jeune, l’une des rares où les cassettes des politiciens, artistes et autres faiseurs d’actualité paraissent plus que souvent laissées à la maison, est aussi devenue l’occasion d’un petit bilan. Le 21 mars dernier, les joyeux lurons recevaient en effet Ricardo Trogi. Une entrevue drôle, rythmée, punchée – Trogi ne fait assurément pas les films qu’il fait par hasard – mais au cours de laquelle on a évidemment évoqué la dernière cérémonie des Jutra, dominée dans les faits par l’inévitable Mommy mais qui faisait également de 1987 le gagnant par défaut, non pas par le nombre de statuettes amassées (trois) mais par le succès réel qu’il a pu obtenir en 2014. Mais on a aussi abordé la tout aussi inévitable crise guzzienne du cinéma québécois, faite de cinéma déprimant et d’insuccès en salles. À la question de l’animateur demandant à Trogi si ce débat était au fond utile, le cinéaste a ainsi répondu : « Je ne sais pas. J’entendais récemment une entrevue d’André Melançon en 1972 qui commençait comme ça : ‘le problème avec le cinéma québécois…’ (…). Au bout de la ligne, je dirais qu’on n’a pas plus de problèmes qu’ailleurs. Le reste de la planète va constamment être comparé à Hollywood, c’est comme ça. Sur les parts de marché, on a eu des bonnes années où on était à 20, mais à mon avis, ça reste l’exception. Normalement, on devrait être autour de 10 et il ne faut pas paniquer avec ça ».

Un commentaire qui, bien sûr, allume l’étincelle : sommes-nous, nous travailleurs des médias, trop prompts à tirer sur l’ambulance ? Ne voyons-nous la réalité du cinéma québécois que par le mauvais bout de la lorgnette ? Nous concentrons-nous, sans même nécessairement le vouloir, uniquement sur le négatif ?

Force est de constater que cette crise, liée à une véritable baisse du nombre d’entrées en salles (qui n’est pas limitée aux films québécois, il faut le rappeler) est quasiment devenue indissociable de l’opinion que l’on peut se faire médiatiquement et publiquement du cinéma québécois. Commencer une phrase par « le cinéma québécois » vient désormais presqu’instantanément avec « ne va pas bien », « est en crise », « est déserté »…

Verser dans l’excès inverse serait bien sûr tout aussi néfaste. La santé d’un système ne peut être assurée par un discours béni oui-oui, célébrant aveuglément, chantant les louanges sans vision ou pragmatisme. Les problèmes sont réels et il serait idiot de vouloir les nier.

Mais comme dans un film, tout est question d’angles. De point de vue. De cadrage. Déplacer le viseur de quelques millimètres pour réussir à atteindre l’équilibre de la même façon dans le discours médiatique sur le cinéma québécois ne serait probablement pas une mauvaise idée. Pas de mea culpa ici, entendons-nous bien, mais s’il appartient aux cinéastes et créateurs de poursuivre leur travail en ayant à cœur de faire les œuvres les plus inspirées, inspirantes, personnelles et honnêtes possible, il appartient sûrement aux journalistes de savoir parler de ce cinéma sans raccourci et perspectives tronquées.

Dire les choses comme elles sont, oui. Se pencher sur ce qui gratte et fait mal, oui encore. Mais savoir d’un même geste englober le beau et le bon, comprendre que si ce cinéma plaît autant à l’étranger par exemple, ce n’est pas le fruit du hasard, oui toujours. Car trop insister sur cette idée de crise, c’est aussi, par la bande, mettre à jour une crise des médias où l’opinion spectaculaire, mordante pour être mordante et démagogique, nuit assurément autant que tout le reste.

Bon cinéma

 


26 mars 2015