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Éditos

Même les Américains le disent

par Helen Faradji

Les plumes se sont gonflées cette fin de semaine. Imaginez donc. Le New York Times, peut-être l’un des quotidiens les plus respectés au monde, a parlé de notre cinéma dans un article pompeusement titré : « La fierté nationale à l’écran. Les films canadiens récoltent récompenses en festival et reconnaissance aux Oscar ». Poitrail en avant et menton levé, le cinéma canadien. Même s’il continue d’être snobé ici dans les grandes largeurs, qu’importe, puisque les Américains s’esbaudissent devant son insolente bonne santé. De quoi se faire péter les bretelles, c’est sûr. Et puis, l’herbe est toujours plus verte ailleurs, on le sait bien.

Un article dodu, donc, capitalisant principalement sur une entrevue avec Carolle Brabant, directrice générale de Téléfilm Canada, et qui tente à sa façon de comprendre pourquoi, depuis 2010, ce cinéma semble caracoler, la bride lâchée, sans demander de compte à personne, voilà qui devrait en effet réjouir et faire rosir. Pourtant, à bien le lire, plusieurs de ses éléments restent des pilules drôlement amères à avaler. Ou l’art d’user d’un compliment pour mieux masquer sa condescendance.

Il y a d’abord ce caillou que notre cinéma national traîne dans sa chaussure depuis de trop nombreuses années et dont personne, au juste, ne paraît savoir comment se débarrasser. Surtout pas l’article du New York Times qui visiblement, n’en a de toutes façons que cure. Car, il faut être honnête. Ces succès, que tous applaudissent, peuvent-ils réellement aider, comme le dit Mme Brabant, à promouvoir le « branding du Canada ? Faut-il encore une fois rappeler que ces films, ce reflet d’une culture, ces œuvres sont québécois, bien avant d’être canadiens ? Peut-on réellement continuer à arguer, d’un côté, de l’existence de deux solitudes, notamment culturelles, et de l’autre, brandir la flamme de l’unité alors que le cinéma québécois n’est qu’à peine distribué dans les salles canadiennes, hors de la province, et vice-versa ? Le cinéma canadien et le cinéma québécois ne cohabitent pas, pas plus qu’ils ne sont côte à côte. Ils ne se parlent tout simplement pas. Sauf évidemment quand vient le temps de récolter quelques lauriers… L’arbre ne cessera donc pas de sitôt de cacher la forêt.

Mais il y a aussi, ensuite, cet accent à peine caché mis sur les nominations à l’Oscar du meilleur film étranger récoltés au cours des trois dernières années par Rebelle de Kim Nguyen, Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau et Incendies de Denis Villeneuve, comme signes incontestables de succès. Trois cinéastes exemplaires, surtout les deux derniers, selon le New York Times de cette réussite « made in Canada », financée à même les fonds publics et qui laisse le pauvre quidam américain, habitué au « débrouille-toi toi-même, crée ta chance, trouve tes sous », abasourdi et un brin envieux. Pourtant, comment ne pas, de ce côté-ci de la frontière, être vaguement gêné aux entournures ?

Bien sûr, l’article mentionne aussi quelques autres succès (Chloé Robichaud à Cannes avec son Sarah préfère la course, l’attention mondiale portée à Gabrielle de Louise Archambault, la récompense à Tribeca donnée à Whitewash d’Emmanuel Hoss-Desmarais). Mais concentre son focus sur ce qui, apparemment, est la marque d’un véritable succès, autrement dit le fait qu’Hollywood fasse enfin les yeux doux à ces gentils petits cinéastes à qui l’on viendrait donc d’ouvrir les portes du paradis. Denis Villeneuve et ses Prisoners et Enemy, Philippe Falardeau et son The Good Lie, produit par Ron Howard, Ken Scott et son remake de son propre Starbuck pour le compte de DreamWorks et Jean-Marc Vallée et son Dallas Buyers Club en seraient la preuve. Et vogue la galère.

Et pourtant. Un prix récolté à Berlin par Denis Côté ou par Xavier Dolan à Venise sans parler des vagues incessantes que font nos courts-métrages dans les plus grands festivals spécialisés du monde seraient-ils moins des signes de rayonnement et de succès ? Le fait de réussir à se frayer un chemin jusqu’aux grands studios américains ou jusqu’au tapis rouge des Oscar est-il vraiment cette voie pavée d’or que semble louer le New York Times ? La reconnaissance doit-elle forcément passer par un signe de tête du géant américain ? La réussite d’une cinématographie nationale (ou provinciale, puisque nous en sommes encore là) ne peut-elle être concrétisée que s’il y a adoubement par le voisin anglophone ? Et surtout, pourquoi devrions-nous attendre que les Américains prennent conscience de notre existence pour commencer à être fiers de nous ?

Comment disait l’autre, déjà ? Think big, sti

Bon cinéma.


19 septembre 2013