Éditos

Miroir, miroir

par Helen Faradji

Comme d’habitude, il y a eu des surprises. Des bonnes (Desplechin, meilleur réalisation, Ex Machina, meilleurs effets spéciaux) et des moins bonnes (l’horrible geignardise de Sam Smith, meilleure chanson, Demain plutôt que L’image manquante, meilleur documentaire). Il y a aussi eu des « enfin » soulagés qui ont résonné (Vincent Lindon, Leonardo DiCaprio et Ennio Morricone) et une certaine variété dans les prix remis récompensant, des deux côtés de l’Atlantique, à peu près tout le monde, des œuvres les plus cinéphiles aux plus populaires. Mais entre la soirée des César, vendredi soir dernier, et celle des Oscar, dimanche, il y aura surtout eu une multiplication de symboles assez étonnante sur fond de puissant tumulte politico-social.

Du côté de la cérémonie hexagonale, animée par l’humoriste Florence Foresti à grands coups de « nous aussi, on peut être big comme les américains », c’est par les prix attribués aux magnifiques Fatima de Philippe Faucon (meilleur film, meilleur espoir féminin et meilleur scénario adapté) et Mustang de Deniz Gamze Erguven (meilleurs scénario original, musique, montage et premier film) que ces symboles ont pu s’incarner. Car si l’animation, certes tonique, a surtout enchaîné fanfaronnades et pirouettes, sur scène, peu de cas aura été fait de cette terrible année 2015 qui a pourtant secoué les valeurs et principes les plus fondamentaux de la France. Et ce sont les mises en valeur de ces films qui auront, comme une superbe main tendue, fait ce geste d’apaisement et de réconciliation attendu. Car, au fond, que disent Mustang et Fatima, que disent ces personnages de femmes algérienne et turques refusant de se soumettre, résistant à l’oppression, dignes et belles malgré le racisme, si ce n’est de grands et beaux appels à la liberté et au mieux-vivre ensemble ?

C’est presque l’impression inverse qui a saisi devant la cérémonie états-unienne. Évidemment, on savait, bien avant le #oscarsowhite que le cru cinéma 2015 n’abordait pas de front la difficulté à faire exister une diversité autant à l’écran que dans les rues. Spotlight, couronné du prix du meilleur film, est ainsi bien davantage un plaidoyer en faveur de l’importance d’un journalisme libre qu’un reflet parlant de ce qui agite nos mondes. C’est donc Chris Rock – et la colonie d’artistes afro-américains venus présenter des prix à sa suite – qui se sont chargés de percer l’abcès. Et bille en tête, l’humoriste a sauté sur toutes les occasions pour que le sujet soit parfaitement affronté, dépassant avec intelligence le cadre du cinéma pour rappeler notamment le mouvement Black Lives Matter et proposant l’idée que le segment In Memoriam cette année soit consacré aux jeunes Noirs abattus par la police… Et c’est toute la cérémonie qui se sera alors transformée en outil de lutte politique, Inarritu faisant de son discours de remerciement un appel à plus d’équité, DiCaprio y voyant l’occasion de réitérer son engagement contre les grosses compagnies polluantes et Joe Biden, rien que ça, venant y présenter le nouveau programme gouvernemental de lutte contre les agressions sexuelles sur les campus, It’s On Us.

D’un côté de l’Atlantique donc, un malaise profond ayant résulté en des événements tragiques durant l’année soigneusement évités à grands renforts de rires, mais confronté par les récompenses quasi-militantes données à des films prouvant que l’extrémisme ne peut pas gagner. De l’autre, un malaise tout aussi profond et tragique affronté toute ironie dehors pour que la bulle éclate, sans que pourtant ne disparaisse l’impression d’une immense division quasi irréconciliable entre deux communautés (les Noirs, échantillonnés par Chris Rock et dont pas un ne semblait connaître les films nommés cette année et les Blancs, remettants de récompenses ou lauréats, qui auront tout fait pour soigneusement éviter le sujet) et sans que les films élus n’incarnent d’aucune façon cette lueur d’espoir bien nécessaire.

Dans un monde idéal, ces deux aspects seraient à l’unisson. Dans un monde idéal, une cérémonie aurait les couleurs de la société de laquelle elle émane, exactement comme les films qui y seraient mis de l’avant. Dans un monde idéal, l’excellence et l’engagement n’auraient pas besoin de se nier l’un l’autre.

Mais si ce monde idéal existait, il n’y aurait de toutes façon ni nominations agaçantes, ni animations déconnectées, ni Oscar ni César pour départager qui que ce soit…

Bon cinéma !

 

 


3 mars 2016