Je m'abonne
Éditos

Netflix à l’attaque

par Helen Faradji

Les mois d’août et de septembre marquent chaque année le début des festivités. C’est la tradition. Les films que l’on présume d’importance sont lancés aux festivals de Venise ou de Toronto (où, en général, on refait aussi mousser ceux de Cannes), d’autres évènements les reprennent, les distributeurs font leurs emplettes en achetant pour leurs territoires ceux qui leur auront tapé dans l’œil, les sorties en salles s’enchaînent et tout le monde croise les doigts en attendant les chiffres du box office et les critiques et se positionne en attendant les nominations à des prix divers et variés (Oscar, César et tous leurs amis), etc, etc.

C’était, du moins, la procédure que nous connaissions. Car ces dernières années, et tout particulièrement celle-ci, les lignes se sont assurément mises à bouger, redéfinissant tellement l’échiquier du merveilleux monde du cinéma que l’on est en droit de se demander si l’on n’assiste pas au début de la fin du système de distribution traditionnel. Ou même pour le dire plus crument à la faillite des distributeurs tels que nous les connaissons.

En cause? Évidemment, encore lui, le grand méchant Netflix. Jusqu’ici, les choses étaient assez claires. Les services de VOD pouvaient s’associer à des créateurs pour la mise en place de contenu original (Amazon et Woody Allen par exemple), mais achetaient également des films à l’ancienne, pour les diffuser après leur parcours en salles, sur leurs plateformes. Quelques films orphelins de distribution en salles pouvaient aussi y trouver leur nid, mais restaient des exceptions qui ne confirmaient aucune règle. C’est là que les choses semblent être en train de changer.

Netflix, au dernier festival de Toronto – et avant ça à Cannes aussi -, a en effet montré de quel bois il était fait désormais en acquérant directement plusieurs titres d’importance, coupant donc l’herbe sous le pied des distributeurs (dont plusieurs sont repartis de Toronto les mains vides) mais rebrassant aussi les cartes d’un jeu auquel plus grand monde ne semble croire : les sorties en salles. Car ces films achetés, s’ils bénéficieront (peut-être) d’une sortie salles dans leurs pays d’origine, débarqueront ensuite directement dans les algorithmes étranges du géant, avec pour les plus chanceux d’entre eux une sortie en salles simultanée (ce qui avait été le cas en 2015 pour Beasts of No Nation, mais sans succès financier).

Pour donner quelques exemples précis, Netflix a ainsi mis la main, en payant plus cher que d’habitude pour bien montrer qu’il est ce Goliath au compte en banque plus garni que tous les autres, sur la caméra d’or du dernier festival de Cannes, le bouillonnant et extraordinaire de vitalité Divines d’Houda Benyamina (acheté avant le festival et qui devrait être disponible sur la plate-forme d’ici la fin de l’année, sauf en France) ainsi que sur la sensation brésilienne de la compétition, Aquarius de Kleber Mendonça Filho. À Toronto, il a doublé plusieurs distributeurs pour acquérir les droits internationaux du nouveau film d’Adam Leon (Gimme the Loot), Tramps, Barry, le biopic relatant la jeunesse de Barack Obama, signé Vikram Gandhi, ou What Happened to Monday ? du norvégien Tommy Wirkola (Hansel et Gretel : Witch Hunters). En 2015, le géant a également mis les frères Duplass sous contrat pour les 4 prochains films produits par les nouveaux chouchous de la scène indépendante américaine.

Comme Netflix utilise toujours cette stratégie d’une opacité quasi-totale sur le nombre d’utilisateurs de son service et les revenus qu’il en tire, il est difficile de savoir précisément pourquoi son appétit d’acquisition de films indépendants semble s’être particulièrement aiguisé pour eux. Quel avantage en tire-t-il? Cela lui apporte-t-il plus d’abonnés? Cherche-t-il simplement à développer une relation privilégiée avec les cinéastes pour ensuite en faire les porte-drapeaux d’une nouvelle série exclusive? Ou place-t-il simplement les petits créateurs devant une question terrible, qui résume peut-être l’histoire de l’art mais n’aura probablement jamais été aussi cruelle : mieux vaut-il accepter un gros chèque et sacrifier l’idée même d’une diffusion en salles ou persévérer à vouloir s’inscrire dans un modèle dont chaque jour montre un peu plus les limites?


29 septembre 2016