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Éditos

Netflix : un colosse à abattre?

par André Roy

Les amateurs de séries télévisées ont peut-être été surpris de tomber sur une série récemment programmée par Netflix dont les principaux artisans sont canadiens et québécois. Il s’agit de Real Detective, une excellente production qui scotche littéralement le spectateur à son écran. Créée par un trio formé de Scott Bailey, Petro Duszara et Alain Zaloum (trois Montréalais), réalisée par des réalisateurs d’ici (dont Robin Aubert qui a signé trois épisodes) et jouée principalement par des acteurs canadiens, la série porte sur une enquête particulièrement éprouvante de huit policiers (à Seattle, Washington, Polk County, Wise County…). On y a mis le paquet comme on dit, et les crédits d’impôt de Téléfilm Canada et de la SODEC y sont pour quelque chose. À la SODEC, on nous a confirmé que ces huit films de 42 minutes environ ont été considérés comme québécois à la présentation du dossier. On nous aurait dit la même chose à Téléfilm Canada si nous l’avions demandé, mais nous nous serions buté comme avec la SODEC aux secrets financiers entourant les subventions. Nous nous interrogions sur la participation d’institutions d’ici, le générique de fin des épisodes nous ayant mis la puce à l’oreille pour cette série diffusée sur Netflix (mais non produite par cette plateforme).

Tous ceux et celles intéressés par la diffusion de films sur des plateformes numériques (que ce soit des longs métrages ou des séries) ne peuvent que s’étonner de cet état de fait, d’autant que cette pieuvre numérique qu’est Netflix, qui a envahi le monde en diffusant dans 190 pays – même à Cuba! – et ayant 83 millions d’abonnés, ne s’est guère montrée jusqu’à présent « patriotique » quant au contenu canadien et québécois. Elle est vraiment chiche. Si Diego Star, de Frédérick Pelletier, est toujours sur la plateforme, on n’a en revanche pu voir que pendant quelques courtes semaines l’an passé Autrui, de Micheline Lanctôt ou Laurence Anyways de Xavier Dolan et des séries d’ici comme Les ParentLa galère et Les invincibles grâce à un partenariat avec Radio-Canada. C’est mince. Et Real Detective est en fait considérée comme une production totalement américaine (nulle part n’est indiqué un label canadien, c’est en anglais et ça se déroule aux États-Unis). Netflix est un rouleau compresseur et ambitionne d’abonner un public potentiel, en plus de celui des Amériques, de 730 millions. C’est une plateforme qui fait ce qu’elle veut et ne tient absolument pas compte (ou presque[1]) de la fiscalité et des régulations de chaque pays dans le domaine de la radiodiffusion. Comme au Canada.

La ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly a donné en septembre 2016 le coup d’envoi à un examen de la politique culturelle, des consultations de grande envergure à travers le pays dans le but de trouver des façons de consolider la création, la découverte et l’exportation de contenu canadien. Ce qui ressort concernant les plateformes sur Internet est le goût amer que laisse Netflix dans sa contribution aux productions canadiennes, comme l’ont laissé savoir plusieurs intervenants du domaine télévisuel. Sa plateforme a été décriée dans son évitement de l’impôt sur les sociétés et aux obligations sur le plan de la production. Un contournement qui remet en cause le financement de la production d’ici. Netflix ne paie pas de taxes et ignore la règlementation canadienne en matière de diffusion. Le CRTC refuse toujours de soumettre les entreprises de programmation par Internet aux mêmes obligations que les télédiffuseurs et les câblodistributeurs. Tout en faisant des affaires ici, Netflix ne contribue donc nullement au Fonds des médias canadiens (FMC) servant à financer la production de contenu canadien et n’est pas obligée de diffuser un minimum de films ou de séries produits d’ici.

En réponse aux inquiétudes et aux demandes des fournisseurs canadiens de contenu audiovisuels, la ministre Joly refuse de revoir les règles, ou plutôt l’absence de règles gouvernant les plateformes numériques. Son ministère continue la politique instituée par le gouvernement Harper favorisant Netflix et se refuse à toute règlementation pour cause de libre marché – alors que la plateforme impose une concurrence déloyale aux entreprises comme Illico, Bell.net, Telus ou tou.tv.

Netflix s’accroît à la puissance dix et il sera de plus en plus difficile de la contrôler et de lui imposer des exigences auxquelles les diffuseurs du pays se plient. Et on n’a pas encore parlé ici du contenu en langue française – dont un pourcentage est exigé par le CRTC aux diffuseurs d’ici -, qui y est plus que limitée. Impossible de connaître des chiffres sur ce point, la plateforme étant elle-même incapable de calculer ce type de contenu parce que l’offre change constamment.

Mais peut-on contrer la marche d’un colosse comme Netflix qui, par ailleurs, ne semble pas intéressé à un marché restreint comme le marché francophone du Canada ? Ou bien, faut-il le contourner par d’autres méthodes ? Peut-être faut-il miser sur la VSD sur différentes plateformes, mais à des prix plus raisonnables qu’actuellement (le visionnement d’un film coûte entre 4,95 $ et 6,95 $ alors que l’abonnement mensuel à Netflix est à 8,95 $)? Et adopter une démarche inédite en essayant d’ouvrir le marché à quelque chose que les spectateurs québécois désirent vraiment.

 


[1] Comme dans les pays nordiques.


21 avril 2017