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Éditos

Pour une signature de plus

par Helen Faradji

On les entend déjà, les cyniques, les blasés, soupirer en levant les yeux au ciel. Ça ne sert à rien. C’est juste pour se donner bonne conscience. Ça finira sur une tablette, comme toutes les autres. Depuis que le web est web, la pétition, forcément devenue mondialisée, est devenue son corollaire favori et le monde virtuel s’est scindé en deux : ceux qui signent, ceux qui activent leur dossier spam.

Pourtant, cette semaine, deux – en en attendant probablement d’autres – pétitions méritent véritablement le 30 secondes qu’elles demandent pour les signer. Peut-être qu’elles ne donneront pas les résultats escomptés. Mais peut-être seront-elles aussi le seul moyen pour nous d’exprimer un désaccord, une frustration, une envie de s’unir contre ce qui, encore une fois, ne peut que faire rager.

La première, circulant depuis la semaine passée à l’initiative de la Société des Réalisateurs de Films et de ses co-présidents Pascale Ferran, Katell Quillévéré et Christophe Ruggia, ressemble étrangement à celle que nous signions déjà il y a quatre ans… Même pays, même métier, même emprisonnement absurde, inique. Après Jafar Panahi, et après avoir tiré publiquement les oreilles de Leila Hatami dont la bise à Gilles Jacob en haut des marches cannoises avait titillé la susceptibilité nationale, l’Iran récidive. Le 7 juin dernier, la cinéaste Mahnaz Mohammadi y a en effet été incarcérée dans la tristement célèbre prison d’Evin, après avoir été arrêtée de nombreuses fois au cours des dernières années. Verdict ? 5 ans de prison. Crime ? « Complot contre la sécurité de l’Etat » et « propagande contre le régime de Téheran ». Véritable crime ? Être une documentariste soucieuse de défendre les droits des femmes et la liberté de vote par ses films (Femmes sans ombres) et collaborer avec la BBC ou Radio-France.
Une vidéo tournée par la cinéaste la veille de son emprisonnement

Pour signer la pétition, comme l’ont déjà fait Hiam Abbass, Chantal Ackerman, Xavier Beauvois, Lucas Belvaux, Costa-Gavras, Nicolas Philibert, Riad Sattouf, Bertrand Tavernier, Agnès Varda et tant d’autres… envoyez nom et prénom au hrosiaux@la-srf.fr

Si l’autre pétition n’a certainement pas le même poids, la même gravité, elle n’en reste pas moins essentielle. Essentielle à tous ceux qui considèrent encore – il y en a – la cinéphilie comme un lieu de partage, un espace de découverte, un moment volé au temps où les questions les plus improbables, les plus passionnantes, peuvent être débattues quelques heures durant, à la radio, juste pour le plaisir. « Comment filmer les bourreaux ? », « À quoi tient le génie de Saul Bass ? », « De quoi rions-nous dans les films de Wes Anderson ? », « Les films de Sidney Lumet sont-ils du côté de la morale ou de la loi ? », « Lars Von Trier a-t-il ou non le génie du mal ? », « James Bond est-il ou non un bon thermomètre du cinéma d’action américain ? ». Oui, des questions comme ça. Et tant d’autres. Disséquées, analysées, approfondies, avec érudition, humour, musique, en s’autorisant tous les chemins de traverse, des Gremlins à Dreyer, pendant une heure, chaque vendredi sur les ondes de France Inter (disponible en podcast ). Une émission de service public, qui fait honneur à cette appellation qui ne semble plus rien dire, animée par les indispensables Stéphane Bou et Jean-Baptiste Thoret et qui témoigne d’une cinéphilie ouverte, passionnée, généreuse, en principe, ça se chouchoute, non ? Non. Car France Inter, affublée d’un nouveau directeur, a décidé de signifier aux joyeux lurons la fin de Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert. Nous ne saurions que nous associer à l’indignation généralisée dans la petite – mais vivante – communauté cinéphilie qui s’en délectait chaque semaine.
Pour signer ladite pétition

Des signatures qui ne serviront à rien? En attendant de devoir, bien piteusement, signer l’éventuelle pétition qui circulera pour sauver le cinéma ExCentris dont les rumeurs de mauvaise santé affolaient il y a quelques semaines, ou de prendre connaissance de cette lettre ouverte, du Comité spontané pour la sauvegarde du Conseil des arts et lettres du Québec que nous republions ici et que nous vous invitons à soutenir, qui demande à notre cher nouveau gouvernement de renoncer à supprimer quelque chose comme 4.1 millions de dollars amputé dans le secret le plus total du fonds cinéma, vidéo, arts médiatiques du CALQ, désormais transféré à la SODEC, mais sans fonds supplémentaires (et donc, empêcher sans autre mesure le développement des projets menés par des cinéastes indépendants, hors des normes « habituelles » de la SODEC), il serait bon de se rappeler que si ces signatures peuvent sembler inutiles, elles n’en restent pas moins un signe important de résistance. Et résister, par les temps qui courent, semble loin d’être une mauvaise idée.

Bon cinéma, bonnes signatures.


26 juin 2014