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Éditos

Pourquoi les critiques aiment aussi la comédie

par Helen Faradji

Ainsi donc, nous, méchants critiques, n’aimerions pas la comédie… Remettant sur le gramophone l’un des plus vieux disques existant depuis que le cinéma est cinéma, Marc-André Lavoie, réalisateur de Hot Dog, serait donc enfin parvenu à percer au grand jour le grand malentendu existant entre ces films «méga-LOL » et les gratte-papiers pisse-froid empêchant le bon peuple d’aller légitimement se bidonner après une dure journée de labeur. Une fin de non-recevoir. Une opposition de principes. Un « non, comédie, tu n’entreras pas dans le saint des saints » sec et définitif. Et pourtant… Comédie, mode d’emploi – entretien avec Judd Apatow par Emmanuel Burdeau, Serge Daney sur Tati, Pauline Kael sur Blier ou Shampoo, les essais de James Agee sur Buster Keaton ou l’âge d’or de la comédie, les entretiens de Michel Ciment avec Billy Wilder, The Hidden Tools of Comedy de Steve Kaplan, la profusion d’ouvrages de tous genres concernant aussi bien Chaplin, Laurel et Hardy, les Marx Brothers, Lubitsch, Cukor, Adam McKay, Ben Stiller, les Farrelly, Woody Allen, numéro spécial « Qu’est-ce qui nous fait rire ? » dans la revue 24 Images, numéros annuels dédiés à la comédie dans Vanity Fair… dieu sait que les critiques se sont laissés aller la plume sur la comédie. Et cette liste, bien loin d’être exhaustive, donnerait presque envie de répéter le geste magnifique de Yann Martel qui, perplexe devant les habitudes de lecture de Stephen Harper, avait décidé d’envoyer, toutes les deux semaines de 2007 à 2011, un livre à notre cher premier Ministre, et de garnir à notre tour la bibliothèque de Marc-André Lavoie.

Mais il sera plus aisé de bien plus simplement affirmer ici même pourquoi la comédie, encore et toujours, nous fait battre autant des mains que le cœur. Si les raisons sont évidemment nombreuses, la première à venir en tête, et déqualifiant presque automatiquement Hot Dog, est celle que le genre, de tous temps, sous toutes ses formes, nous aura fait découvrir de nouveaux visages, de nouveaux corps, ceux-là mêmes dont le cinéma « traditionnel » n’a jamais semblé savoir que faire. De Groucho à Lena Dunham, de Ricky Gervais à Fernandel, de l’ami Woody à Louis CK, la comédie a en effet donné droit de cité à des physiques hors-normes, non pas pour s’en moquer, mais au contraire pour accueillir une représentation du monde plus juste et plus censée, hors des conventions et des standards stéréotypés. C’est même là une de ses spécificités les plus marquées. Un geste politique pour un genre qui n’en devient, du même coup, que plus rafraîchissant et plus important.

Certes, malgré cet attribut, la comédie a rarement eu droit de cité sur les grandes scènes où se jouent habituellement la reconnaissance internationale. Jamais n’aura-t-on vu, par exemple, une comédie remporter l’oscar du meilleur film ou la palme d’or du festival de Cannes. Et pourtant, si ces deux récompenses ont échappé au genre, faudrait-il du même geste oublier les festivals, rétrospectives et autres cérémonies qui auront permis à Nanni Moretti, Buster Keaton, Pierre Étaix, Mel Brooks, Blake Edwards, Jerry Lewis ou Louis de Funès, Ken Loach, Stephen Frears et tant d’autres d’obtenir ce coup de projecteur plus que mérité ? Ne pas gagner d’oscar ou de palme, n’en déplaise à l’idée reçue, n’est pas signe d’une carrière ratée.

Quant à la comédie québécoise, il est tout à fait exact de noter que semble en effet lui manquer son Judd Apatow, sa Sarah Silverman, son Woody Allen ou son Louis CK, en tout cas sur grand écran. Terre comique, le Québec accueille les éclats de rire bien plus volontiers sur scène, à la télévision ou sur le web où l’on semble bien plus enclin à laisser s’incarner la jolie maxime de Beaumarchais, « je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » que dans nos longs-métrages. Mais peut-on décemment en imputer la faute aux critiques qui, par leur réticence à se faire aller les maxiliaires, empêcheraient les pauvres petits comiques d’épandre tout leur humour sur écran géant ? Poser la question, c’est tout de même y répondre. De grâce, hommes et femmes d’humour d’ici, faites-nous rire. Soyez différents, audacieux, originaux, mordants. Prenez cette société à bras le corps et passez là au tordeur de votre vision. Ne vous contentez pas de planter une dent dans une saucisse et d’attendre que le rire fuse. Pour notre part, nous n’attendons que ça. Promis, juré. Mais ne nous prenez pas pour des imbéciles. La comédie est genre trop sérieux pour cela.

Bon cinéma, drôle ou pas


15 août 2013